Un scientifique peut-il faire un bon CEO ? Les investisseurs répondent

Un scientifique peut-il faire un bon CEO ? Les investisseurs répondent



Dans la french tech, il n’est pas rare de voir un scientifique de formation enfiler le costume d’entrepreneur pour commercialiser le produit qu’il a conçu. Une transition pas toujours facile.

Concevoir un produit est une chose. Organiser son déploiement sur un marché en est une autre. Formé à la première tâche, le scientifique n’est pas toujours préparé à la deuxième. En tout cas, pas autant qu’un entrepreneur au profil plus classique, souvent issu d’une école de commerce et biberonné aux thématiques business pendant sa formation. Cette opposition entre ces deux profils de dirigeant, un peu caricaturale, permet de soulever une question : comment le scientifique (à comprendre au sens scolaire du terme, c’est-à-dire celui qui a étudié les disciplines scientifiques en école d’ingénieur ou à l’université), souvent à la tête de deeptechs ou de start-up industrielles, se distingue-t-il en tant que dirigeant ?

Première distinction, celui-ci a besoin d’un peu plus de temps pour se muer en dirigeant. “En sortie d’études, c’est très difficile pour des ingénieurs ou des scientifiques de monter une start-up”, constate Thomas Nivard, partner chez 360 Capital, un fonds qui a investi dans 60 start-up, dont près de la moitié sont dirigées par des profils scientifiques. “Ceux qui ont un double diplôme avec une école de commerce peuvent se lancer dans l’entreprenariat juste après leurs études”, indique de son côté Antonin Léonard, associé chez Asterion Ventures, un fonds qui compte à son portefeuille huit start-up présentant un profil technique au sein de l’équipe dirigeante.

Ces profils polyvalents sont appréciés des investisseurs. “Un ingénieur de formation peut, grâce à son expérience ou à son parcours, comprendre les grandes problématiques de l’entreprenariat. C’est par exemple le cas de Pierre Desjardins, polytechnicien et ancien consultant dans un cabinet de conseil et désormais CEO de C12 (une start-up qui tente de développer un ordinateur quantique, ndlr)”, assure Thomas Nivard. “La compréhension des enjeux business est indispensable. Une start-up avec une équipe de fondateur composée d’ingénieurs qui ne s’intéressent pas à ces problématiques ne fonctionnera jamais. Plusieurs fois, des profils scientifiques nous ont présenté des supers projets mais on a trouvé qu’ils ne feraient pas des bons entrepreneurs. Dans ce cas, soit on n’investit pas, soit on leur demande d’intégrer un profils busines dans l’équipe dirigeante”.

Passer le relais

Deux étapes bien distinctes rythment la vie de dirigeant d’un CEO au profil scientifique. D’abord une où il se trouve dans sa zone de confort : “Les premières années, une deeptech ou une start-up industrielle a surtout des enjeux techniques. Pour cette étape, il est clairement dans son élément”. Ensuite une autre où il doit sortir de cette zone de confort : “Quand la boite grandit, les enjeux commerciaux deviennent la priorité”. Quand ce moment de transition arrive, il n’est pas rare de le voir “passer la main à un autre CEO plus enclin à gérer ces nouvelles problématiques”, note Antonin Léonard. “Dans ce cas, il reste dans l’équipe dirigeante mais se réoriente plutôt vers un poste de CPO ou CTO”, ajoute Thomas Nivard. Un scénario qui s’est par exemple produit à Exotrail, où David Henri est passé de CEO à CPO en 2021, six ans après avoir fondé cette start-up qui développe des moteurs pour des satellites de petite taille.

“Pour eux, la communication c’est du bullshit “

Ceux qui décident de garder le costume de CEO peuvent avoir des difficultés à incarner leur entreprise, notamment quand il s’agit d’être la tête d’affiche des plans de communication. “Pour eux, la communication c’est du bullshit. Ils ont toujours l’impression que c’est une dépense inutile”, lâche Antonin Léonard. “Ils ont besoin d’être poussés. Faire du marketing pour faire du marketing, ce n’est clairement pas leur truc”, abonde Thomas Nivard, avant de nuancer : “Ils investissent moins de temps dans la communication mais ils savent cibler les bons événements pour que cette communication soit efficace”.

Pas tous les codes pour lever des fonds

Plus que la communication, s’il y a bien un domaine où les dirigeants au profil scientifique partent avec un handicap par rapport à leurs semblables passés en école de commerce, c’est la négociation pour lever des fonds. “Ils ont moins les codes. On voit qu’ils se sont renseignés sur Internet mais souvent le pitch et la négociation sont très moyens. Ils ne savent pas qu’il faut contacter plusieurs investisseurs pour faire marcher la concurrence. Mais à nous de passer outre cette méconnaissance des codes pour percevoir leur potentiel”, indique Thomas Nivard. “C’est clair que les profils école de commerce sont surreprésentés, surtout en Série A. En même temps, ils sont plus rôdés à l’exercice. Mais c’est rafraichissant d’entendre des pitchs moins standardisés qui sortent un peu des codes”, tempère Antonin Léonard.

Plus crédibles

Un discours plus rafraichissant auprès des investisseurs mais aussi plus crédible auprès des salariés. “Au sein des deeptechs et des start-up industrielles, ils sont clairement plus légitimes aux yeux de leurs collaborateurs”. A l’inverse, le CEO qui n’a que peu de connaissance technique sur le produit que sa start-up commercialise “sera peu crédible dans les moments de crise”, selon Thomas Nivard. “De la même manière, si les sales constatent que leur CEO n’est pas intéressé par les problématiques commerciales, ils quitteront le navire”. A lui de s’approprier les “thématiques business” ou de s’appuyer sur un lieutenant qui les maitrise pour maintenir le cap et motiver tout son équipage.

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