« Offrir les meilleurs appareils, fédérer les compétences, peser dans le paysage français et international. » Voici les objectifs mis en avant par Mehran Mostafavi, directeur adjoint scientifique Grandes infrastructures de recherche
à l’Institut de chimie du CNRS (INC), à propos de la fusion de trois infrastructures de recherche (IR) qui proposent des techniques analytiques de pointe en chimie : la résonance magnétique nucléaire à très hauts champs (RMN), sa cousine la résonance paramagnétique électronique (RPE), et la spectrométrie de masse à transformée de Fourier (FT-ICR).
Financées au niveau régional, national (notamment par le CNRS et le Programme d’investissements d’avenir
) et européen (par exemple via le programme-cadre européen H2020), ces IR accueillent chaque année entre 600 et 700 utilisateurs différents, essentiellement des académiques pour lesquels l’accès, basé sur l’excellence scientifique des recherches menées, est gratuit. Mais les instruments sont aussi utilisés par des équipes européennes et quelques industriels, parmi lesquels Total, EDF, Michelin, Sanofi ou L’Oréal. De nombreux domaines scientifiques, de la chimie à la santé en passant par les sciences environnementales, des matériaux ou du patrimoine, profitent de ces techniques pour décrypter la structure et la réactivité des molécules, des matériaux et des systèmes biologiques.
Ces trois réseaux présentent une structuration unique au niveau international dans le domaine des techniques analytiques. Répartis dans des laboratoires partout en France, ils rassemblent chacun plusieurs outils – les plus avancés de leur technique respective, dont on trouve des versions « de routine » plus standard dans les laboratoires. « À l’étranger, chaque université a souvent ses propres équipements, coûteux à l’achat et en maintenance : en France, grâce au CNRS qui pilote ces IR distribuées, nous avons une politique scientifique cohérente au niveau national qui permet de rationaliser les acquisitions, tout en impliquant l’ensemble des acteurs de la communauté scientifique », souligne Stéphanie Lecocq, responsable opérationnelle des IR à l’INC. Ce modèle de structuration, qui permet à la France de maintenir une position forte pour obtenir des contrats européens, commence à s’exporter : par exemple, en Espagne, un réseau national sur trois villes se met en place, rendant disponible à tous le matériel des universités concernées.
« Même si les techniques ont des approches scientifiques distinctes, elles s’adressent à des communautés proches qui ont décidé de travailler ensemble pour développer des standards communs », explique Mehran Mostafavi. Une mise en réseau qui donnera l’infrastructure fusionnée Infranalytics, un modèle unique d’infrastructure de recherche multi-technique et multi-site d’envergure nationale et internationale. Via une entrée unique, un utilisateur aura ainsi accès à l’ensemble des compétences et outils de l’IR. Ce « continuum de techniques » pourra lui ouvrir de nouveaux angles de recherche : « L’INC participe, déjà sous la bannière de l’IR fusionnée, au “Village des IR” des Rendez-vous Carnot
pour démontrer l’intérêt pour les industriels de cette approche multi-technique », ajoute Stéphanie Lecocq.
Mais la nouvelle IR ne se contentera pas de rassembler les anciennes infrastructures. « Agile et dynamique », elle entend évoluer pour toujours se maintenir à l’avant-garde de l’instrumentation analytique. Car l’augmentation des champs magnétiques disponibles apporte un important gain en résolution et en sensibilité, permettant par exemple d’aller « voir » plus finement la structure de molécules ou de discriminer des espèces en très faible quantité dans des mélanges complexes. Les trois parties de l’infrastructure globale devraient ainsi être améliorées d’ici 2026, grâce à une candidature à l’appel à manifestations d’intérêt ESR/EquipEx+
. La division de RMN devrait ainsi se doter d’un équipement
unique au monde permettant notamment de réduire la taille des échantillons nécessaires (en particulier en sciences du patrimoine). Cet équipement à 17 millions d’euros pourrait, sous réserve de financement, être installé au Centre de résonance magnétique nucléaire à très hauts champs de Lyon
et des sondes cryogéniques viendraient renforcer d’autres laboratoires, à Bordeaux, Orléans et Lille, pour mener des expériences inédites.
C’est également à Lille, au Laboratoire avancé de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l’environnement
, que serait installé un spectromètre RPE de 263 GHz, le plus puissant au monde
. Il permettrait des analyses précises de la nature des espèces chimiques présentes dans un échantillon et de la structure des molécules. Enfin, un spectromètre de masse FT-ICR de 18 Teslas viendrait renforcer les équipements du laboratoire « Chimie organique, bioorganique : réactivité et analyse »
à Rouen. Un « projet très ambitieux de développement en lien étroit avec le fabricant Bruker, soutenu dans le cadre d’un partenariat fort avec Total et qui sera le plus puissant commercialisé », détaille Stéphanie Lecocq. Un seul autre tel spectromètre existera au monde, à Londres.
Le projet représente un coût global de près de 28,5 millions d’euros, dont 8,8 millions d’euros demandés via l’EquipEx+. Résultats prévus à la fin de l’année.