Il n’y a pas que Spotify dans la tech suédoise. Bien sûr, la plateforme de musique en streaming, avec une valorisation de plus de 60 milliards de dollars à Wall Street, fait figure de modèle réussite dans la tech de ce pays nordique qui compte à peine plus de 10 millions d’habitants.
Il s’agit même d’un des rares «titans» technologiques européens, terme choisi par la banque d’affaires GP Bullhound pour désigner les champions valorisés plus de 50 milliards de dollars. Mais la Suède, réputée pour son engagement dans le développement durable de ses activités (98 % de son mix énergétique est décarboné), s’illustre surtout dorénavant sur le terrain de la tech à impact.
Il suffit de jeter un œil aux données compilées par Dealroom et mises en lumière par Business Sweden pour se rendre compte de l’effort de guerre suédois dans le secteur : sur les 4,7 milliards d’euros d’investissements de capital-risque réalisés en 2023 en Suède, 3,5 milliards ont été fléchés vers l’impact. Autrement dit, cela représente près des trois quarts (74 %) des investissements suédois dans les startups en 2023, très loin devant ses voisins nordiques que sont la Finlande (53 %) et la Norvège (52 %).
Northvolt mène la meute suédoise
L’écart est même encore plus spectaculaire avec la moyenne européenne qui se situe à 35 % du total des financements de capital-risque. Sur le segment late-stage, le constat est encore plus édifiant puisque 96 % des investissements suédois de plus de 100 millions d’euros concernant des startups à impact.
Parmi elles, on peut citer évidemment Northvolt, étoile montante des batteries électriques qui collecte des milliards d’investissements à la pelle pour agrandir son usine historique de Skellefteå, dans le nord de la Suède, et faire sortir de terre de nouvelles «giga-factories», notamment en Allemagne. Mais il y a également H2 Green Steel (acier décarboné) et Ingrid Capacity (stockage de l’énergie) qui marchent dans son sillage pour donner vie à un écosystème suédois à impact qui a désormais fière allure. Cet ADN dans l’impact est finalement logique, tant la Suède est attachée à la nature et à un fonctionnement en adéquation avec le développement durable. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Greta Thunberg, militante écologique qui a secoué les leaders mondiaux ces dernières années pour les enjoindre à agir contre le réchauffement climatique, est suédoise…
Niklas Adalberth et Harald Mix, piliers de cet écosystème
Si historiquement la Suède a pu compter sur l’influence de grandes familles comme les Wallenberg, les Kramprad ou encore les Persson pour faire naître des marques suédoises connues dans le monde entier, à l’image d’Ikea et de H&M, c’est une nouvelle génération d’entrepreneurs et d’investisseurs qui se met au service de l’économie numérique du pays. L’exemple le plus parlant est probablement celui de Niklas Adalberth, co-fondateur de Klarna, spécialiste du paiement fractionné.
Et pour cause, ce dernier a dédié une grosse partie de sa fortune, à savoir près de 130 millions d’euros, à l’envol de la fondation Norrsken, qui chapeaute le plus gros d’investissement early-stage à impact en Europe. La structure s’est d’ailleurs faite remarquée en mars dernier avec un closing à 320 millions d’euros pour son deuxième véhicule d’investissement.
Parmi les autres bienfaiteurs de la tech à impact suédoise, difficile aussi de ne pas mentionner Harald Mix, figure très respectée du capital-risque à impact en Europe. Avec son fonds Altor Equity Partners et sa fabrique de pépites Vargas, ce dernier est passé maître dans l’art de faire naître des champions à impact nordiques à dimension industrielle, à l’image de Northvolt, H2 Green Steel, Polarium ou encore Aira qui sont des entreprises visant toutes à répondre aux défis de la transition énergétique.
«Les gens ne se tournent plus forcément vers la Silicon Valley ou Paris»
Avec l’émergence de ces cadors technologiques et industriels, Stockholm devient ainsi l’épicentre européen, voire même mondial, de la tech à impact. «La Suède a démontré que la croissance et la réduction des émissions de CO2 n’était pas incompatible», observe Marie-Claire Maxwell, Regional Trade Officer en charge de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Amérique chez Business Sweden.
Par conséquent, la capitale suédoise devient particulièrement attractive à l’international pour les entrepreneurs qui souhaitent monter des projets en lien avec les enjeux environnementaux. «Les gens se tournent vers nous quand ils ont un projet à impact, c’est une situation assez nouvelle. Ils ne se tournent plus forcément vers la Silicon Valley ou Paris», se réjouit-elle. Même son de cloche du côté d’Agate Freimane, General Partner chez Norrsken : «La Suède est avant-gardiste sur les enjeux de développement durable. Il y a eu des success stories ont lancé un cercle vertueux. Northvolt a entraîné d’autres succès dans son sillage.»
Déploiement à l’échelle et méga-financements comme enjeux majeurs
Néanmoins, les figures de l’écosystème à impact suédois sont conscientes qu’il est essentiel de ne pas se reposer sur leurs lauriers pour avoir une force de frappe encore plus conséquente. «Nous avons déjà les solutions pour régler la plupart des problèmes, mais il faut maintenant les déployer à l’échelle et lever plusieurs milliards d’euros pour les mettre en œuvre», relève ainsi Harald Mix. Les 13 milliards de dollars levés par Northvolt en seulement sept ans d’existence ont de quoi l’inciter à rester optimiste.
Cette vitalité suédoise doit constituer une source d’inspiration importante pour la French Tech, qui dispose certes d’un bassin non-négligeable de startups qui cherchent à avoir un impact social et environnemental positif, mais le trait est tout de même bien moins marqué qu’en Suède. Back Market, Electra et Verkor sont les meilleures chances tricolores pour aboutir à des champions européens à impact, mais le chantier à mener reste immense pour enclencher une dynamique plus conséquente.
Le lancement en début d’année d’un indice par le Mouvement Impact France pour identifier les 120 pépites à impact à suivre de près dans l’Hexagone, sur le modèle du Next 40 et du French Tech 120, est une bonne chose, mais il en faudra davantage pour donner une nouvelle envergure à cet écosystème tricolore à impact à l’heure où la France a surtout l’obsession d’être un hub mondial de l’IA en pleine euphorie post-ChatGPT.