A Villeneuve-d’Ascq,
« Almost. » Autrement dit « presque », pour ceux qui ont fait saintongeais ou romanche en LV1. Avec un léger sourire impénétrable, Tom Hovasse, l’entraîneur américain du Japon, a glissé ce petit mot à un journaliste de sa connaissance, avant de quitter la zone mixte du stade Pierre-Mauroy, ce mardi en début de soirée.
Emmenés par une bande de fous furieux de la gâchette, le meneur petit format (1,72 m) Yuki Kawamura (29 points) et l’ailier fort des Lakers Rui Hachimura (24 points) en tête, les Nippons ont en effet presque fait pleurer l’équipe de France et les 27.000 spectateurs en furie du Stade Pierre-Mauroy.
Malgré l’expulsion d’Hachimura pour une deuxième faute antisportive, ils ont su s’accrocher et même distancer des Bleus alors complètement déboussolés, à l’image de leur totem Victor Wembanyama. Les Japonais menaient même de quatre points à 10 secondes de la fin, un écart généralement insurmontable, et Vincent Collet sentait monter l’odeur d’un nouveau fiasco, olympique celui-ci, un an après une 18e place indigne en Coupe du monde. Et puis, Matthew « Zorro » Strazel est arrivé. En se pressant, puisque les Bleus n’avaient plus le temps.
Kawamura, extraordinaire puis fautif
Déséquilibré, le jeune meneur de Monaco (22 ans le 5 août), déjà auteur d’un match solide en sortie de banc (17 points au total), a fait passer sa prestation dans le registre de la légende en inscrivant un panier primé, faute de Kawamura en prime.
Le lancer franc, réussi dans la foulée par l’inattendu héros de la patrie dans un vacarme assourdissant, a expédié les deux équipes en prolongation (84-84) et sa formation quasiment en quart de finale des JO puisque les Japonais, si accrocheurs jusque-là, ont rendu les armes.
Le mieux dans ces situations clairement irrationnelles, c’est encore de donner la parole à l’acteur et aux témoins les mieux placés.
- Matthew Strazel : « J’étais libéré, en confiance. Rudy [Gobert] a la lucidité de me sortir le ballon au bon moment. Il me fait une super passe. Je me suis mis dans une position préférentielle. Quand je sors à gauche, ce sont des tirs que j’aime bien. Avec un peu de chance et un peu de talent, la balle est rentrée. Le lancer franc, c’est juste moi et un geste que je fais depuis quatorze ans. Dieu merci, c’est tombé dedans. C’est le plus grand moment et le plus gros shoot de ma carrière pour l’instant, même si j’espère que je vais en vivre d’autres. Mais mettre un tir comme ça pour arracher une prolongation devant 27.000 personnes, je ne pense pas que ça arrive tous les jours. »
- Vincent Collet : « A ce moment-là, on pense que ça va être compliqué de gagner, avec quatre points d’écart. Quand on a eu le même écart à la fin [de la prolongation], on a surtout demandé de ne pas contester les tirs. Donc on ne pouvait pas s’attendre qu’il [Kawamura] vienne faire faute sur Matthew, sur un tir excessivement difficile qui plus est. Normalement, il ne doit pas se jeter dessus. S’il le laisse marquer à trois points, on a perdu. Matthew part en arrière. Il fallait tirer, c’était clair. J’ai même cru à un moment qu’il allait être contré tellement il [le Japonais] s’est rapproché et s’est jeté sur lui. Quand j’ai vu le tir partir, je ne pouvais même pas penser qu’il allait faire “filoche”. Il a fait un exploit qui nous a sauvés. »
- Victor Wembanyama : « Je suis allé prendre le rebond déjà, puis quand j’ai entendu le sifflet, j’ai couru vers Matthew pour le féliciter et lui donner de la force pour qu’il mette son lancer. C’est sûrement le tir de sa vie, et c’est une chance pour moi de l’avoir vécu en live. Je n’ai jamais vu Matthew reculer, quel que soit le niveau. J’ai joué contre lui, la première fois j’avais 10 ou 11 ans, c’était avec Nanterre contre Marne-la-Vallée. J’étais le plus jeune et il était aussi l’un des plus jeunes [Wemby a 15 mois de moins que Strazel]. Il avait déjà cette fougue, cette volonté d’être un leader et un scoreur, malgré sa taille, parce que plus jeune, c’était aussi le plus petit. J’ai toujours su qu’il avait ce feu en lui surtout en équipe de France, qui ressort tout le temps lors des gros matchs. »
- Bilal Coulibaly : « Tant que ce n’est pas fini, je me dis que c’est faisable. Matthew a prouvé que ça l’était. Je suis très content pour lui et pour l’équipe. Il s’est passé plein de choses dans ma tête. Je me suis dit que c’était magique, que c’était le destin, que c’était comme ça. Ça fait vraiment du bien. Il travaille sur ça. A l’entraînement, dès qu’il a du temps libre, il tire. Quand il a eu à tirer, je me suis dit : “c’est quelque chose qu’il fait donc il y a moyen que ça rentre.” »
- Rudy Gobert : « Dans une situation où l’on aurait clairement pu baisser les bras, on n’a pas lâché. Matthew nous a donné une chance de rédemption, on a su la saisir. C’était incroyable. Je lui ai ressorti le ballon. Au début, j’étais un peu énervé qu’il ne tire pas de suite. Au final, il fait un stepback. Il avait un temps d’avance, il a calculé qu’il y avait peut-être une faute et il a réussi à le mettre. C’était incroyable [bis]. »
- Evan Fournier : « Je suis déjà content pour moi, parce qu’on a gagné [rires]. Mais je suis vraiment content pour lui, c’est un jeune qui a vraiment l’envie, qui a un parcours atypique. C’est clairement le plus beau tir de sa carrière, même s’il faut lui demander. C’était magnifique. En plus il met le lancer derrière. C’était “clutch” aussi. »
Les Bleus ont quasiment assuré leur place en quart de finale avant d’affronter les champions du monde allemands, vendredi. Mais ils le reconnaissent sans forcer, ils ne pourront pas compter chaque fois sur un miracle pour espérer viser une médaille olympique.