«Je savais que je cramais des milliers de litres de pétrole à chaque fois que j’allais travailler. Et je n’arrivais plus à vivre avec cette idée ». Pendant plus de vingt ans, Anthony Viaux a exercé l’un des métiers les plus enviés au monde. Un job qui fait rêver les enfants et qui permet de voyager dans le monde entier. L’un des rares boulots où l’uniforme est encore respecté. Certains vont même jusqu’à dire qu’il fait fantasmer.
Pilote d’avion de ligne, Anthony a eu la chance d’exercer dans l’une des compagnies aériennes les plus prisées du monde : Air France. Mais il a choisi de démissionner, abandonnant le bel uniforme de commandant de bord et le joli salaire qui va avec, tout en délaissant sa plus grande passion : voler. S’il a fait ce choix, ce n’est pas par usure. « Ce métier est absolument incroyable. Je crois que les gens ne se rendent pas compte à quel point il est passionnant. C’est très dur d’y arriver tellement il y a de prétendants. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, c’était un véritable rêve d’enfant ».
En 2018, celui qui officiait jusqu’ici comme copilote est devenu commandant de bord. « Le Graal de tout pilote », comme il l’a dit dans un post LinkedIn très commenté. Ce rêve de gamin a pris du plomb dans l’aile quand Anthony a commencé à souffrir d’éco-anxiété. Dès lors, il était devenu très compliqué pour lui de continuer à voler. Impossible même.
« Ce métier, c’est toute ma vie »
Après vingt-deux années passées chez Air France, Anthony a démissionné. Un choix audacieux et risqué mais qui était devenu inéluctable pour ce pilote chevronné. « Ce métier, c’est toute ma vie, ma plus grande passion. Je travaillais pour l’une des plus belles compagnies aériennes du monde mais j’en souffrais. Quand j’allais au travail, je ressentais de la peur, de la colère, de la tristesse. J’avais un sentiment d’impuissance et de solitude ».
Lorsqu’il était en vol, Anthony assouvissait sa passion. Une passion qu’il jugeait de plus en plus destructrice. Pour la planète, mais aussi pour lui. « Quand on travaille chez Air France, on survole très souvent les Alpes. J’ai passé ma vie à les regarder. Et un jour, j’ai compris que je voyais fondre ces glaciers. Je n’étais plus en phase avec mes convictions. Je me sentais coupable ».
Du haut de ses 49 ans, l’ancien pilote reconnaît qu’il a parfois essuyé des moqueries quand il faisait part de ses turpitudes. Car dans le milieu, les passionnés sont nombreux à défendre l’aviation, louant les efforts des constructeurs et des compagnies aériennes pour limiter l’impact environnemental du secteur. C’est vrai. La consommation ramenée au passager par kilomètre a été divisée par plus de deux entre 1990 et 2018, rappelle l’agence Carbone 4. Le problème, c’est que le trafic aérien a été multiplié par près de cinq sur la même période.
« J’avais besoin de ça pour me regarder dans la glace »
Selon Greenpeace, le secteur aérien contribue à hauteur de 6 % au réchauffement climatique. D’autant qu’en plus de cramer du kérosène, les avions laissent aussi des traînées de condensation qui participent à l’effet de serre. « Je n’ai pas la velléité de devenir le porte-parole d’un mouvement de sauvetage de la planète. Tout le monde sait qu’une action individuelle comme la mienne ne sauvera rien. Mais j’avais besoin de ça pour pouvoir me regarder dans la glace », poursuit l’ancien pilote.
Incapable de continuer, Anthony s’est résigné à prendre un congé sabbatique il y a deux ans. Une période pendant laquelle il s’est formé à son nouveau métier de naturopathe. Atteint d’une maladie auto-immune rare, il a choisi de s’aider des méthodes naturelles pour se soigner. Un choix audacieux qui lui a permis de se « réaligner avec sa boussole ». « J’ai passé ma vie à rendre service aux gens, à relier les humains. Dans un sens, avec ce métier de naturopathe, je continue à aider les autres », glisse-t-il dans un sourire.
Le trafic aérien continue d’exploser
Un choix que certains vont sans doute s’amuser à critiquer, sans imaginer qu’il implique de véritables sacrifices pour ce fils d’hôtesse de l’air d’Air France. « Depuis tout petit, j’ai vu ma mère en uniforme. J’ai toujours rêvé de faire ce métier. Et oui, il me manque et il va me manquer. Mais c’est une décision réfléchie, assumée ».
En 2025, la Terre devrait pour la première fois de son histoire dépasser les cinq milliards de passagers transportés en avion. Un chiffre qui ne va faire que progresser dans les années à venir selon l’Association internationale du transport aérien (Iata). Cette année, les compagnies devraient dégager un bénéfice net cumulé de 36,6 milliards de dollars, soit une hausse de 16,1 % par rapport aux profits attendus en 2024.