Par
Bloomberg
Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
1 septembre 2024
En Chine, des imitations de qualité de certains produits parmi les plus populaires au monde, comme les leggings de yoga de Lululemon. ou les sacs de Hermès, font actuellement leur apparition dans les garde-robes pour une fraction du prix des originaux.
Connus sous le nom de “pingti“ en chinois et qualifiés de “leurres“ (ou dupes en anglais) par les acheteurs de la Gen Z, ces articles devenus populaires reflètent le détachement des acheteurs chinois de leurs labels préférés. Il ne s’agit pas de contrefaçons bon marché: les fabricants locaux vendent ces produits à des prix relativement élevés, revendiquant la même qualité que les plus grandes maisons du monde, le logo en moins.
Le fabricant textile chinois Chicjoc propose par exemple un pardessus en tweed à chevrons pour un montant de près de 450 euros. Les matières seraient italiennes et achetées auprès d’un fournisseur de Prada et Bottega Veneta.
Les ventes ont décollé depuis l’année dernière, la situation économique difficile poussant les consommateurs chinois à essayer de réduire leurs dépenses. Au cours des douze mois terminés en juillet dernier, certaines des principales marques locales vendant des alternatives moins chères ont enregistré une croissance à deux ou trois chiffres sur les principales plateformes d’e-commerce de Chine, Taobao et Tmall, appartenant toutes deux à Alibaba Group Holding Ltd. Certaines maisons étrangères dont les produits sont copiés, en revanche, ont vu leur croissance ralentir et même baisser sur les plateformes, d’après des données du cabinet d’analyse Zhiyi Technology Co., basé à Hangzhou.
La vente en ligne ne reflète pas toujours fidèlement les résultats des marques étrangères qui ont aussi des boutiques physiques en Chine, mais le succès phénoménal des imitations de qualité semble être une nouvelle menace qui pèse sur les comptes des géants mondiaux du retail, qui ont décidément bien des difficultés à décoder les attentes des acheteurs chinois. Le ralentissement économique dans le pays rend les consommateurs plus frileux, mais même des marques de milieu de gamme comme Nike Inc. et Uniqlo (Fast Retailing) sont sur des charbons ardents. L’appétit croissant des jeunes Chinois pour les pingti traduit probablement ce qu’Uniqlo qualifie de “nouvelles valeurs de consommation“, soit le même instinct qui pousse les clients à chercher des produits vendus directement par les fabricants, contournant les intermédiaires.
“La tendance actuelle est à la prudence”
“La vision qu’ont les consommateurs chinois des produits de luxe est en train de changer. Le prestige traditionnellement associé à un sac de luxe n’est plus le seul argument“, décode Blair Zhang, analyste sénior spécialiste de la mode chez Mintel à Shanghai. “La confiance aveugle envers les grandes marques n’existe plus. La tendance actuelle est à la prudence. Les décisions d’achat sont plus rationnelles et alimentent la frénésie autour d’alternatives plus économiques.“
Le secteur du luxe pourrait être le plus affecté par l’impact des pingti. Les imitations avec des matières d’une qualité similaire et un savoir-faire équivalent, dépourvues de logos, sont en train de proliférer. Ces nouvelles contrefaçons mettent en jeu l’exclusivité qui fait le succès des articles haut de gamme, un phénomène qui pourrait freiner la croissance des maisons en Chine, d’après un rapport publié ce mois-ci par le cabinet d’audit Yaok Group.
Le maroquinier Sitoy Group Holdings Ltd. a déclaré dans des vidéos publiés sur les réseaux sociaux que la qualité de ses sacs à main à moins de 100 euros est presque identique à celle de modèles vendus à plus de 1.000 euros, sortant des mêmes lignes de production qui fabriquent ceux de marques de luxe comme Prada, Tumi et Michael Kors.
Chicjoc, l’un des principaux labels de mode chinois sur Taobao et Tmall, distribue des produits qui seraient fabriqués à partir de fourrure animale originaire de Copenhague, provenant d’un fournisseur de LVMH et Fendi. D’après les données de Zhiyi, les ventes annuelles de l’entreprise frisent le milliard de yuans.
La spécialiste de la finance Ding Xiaoying, à Shenzhen, a cessé de dépenser des milliers de dollars en articles de designer après avoir perdu la moitié de ses bonus annuels suite au ralentissement du marché chinois. Au cours des derniers mois, elle raconte avoir acheté des pingti de pyjamas Victoria’s Secret et des chemises inspirées de modèles de Ralph Lauren Co. et Bottega Veneta (Kering SA).
“Une partie de mes dépenses en vêtements va maintenant à ces marques anonymes“, avoue-t-elle, saluant la qualité textile des imitations. “Maintenant, j’ai confiance. J’aimerais bien qu’ils lancent leurs propres designs pour s’éviter des procès.”
Les marques locales proposent des alternatives plus économiques depuis des dizaines d’années, mais elles étaient jusqu’à maintenant snobées par les acheteurs de la classe moyenne, qui n’hésitaient pas à mettre la main au portefeuille pour acquérir des produits symbolisant un statut social. Les distributeurs de pingti ont profité de l’opportunité offerte par la pandémie de Covid, quand les gens étaient coincés chez eux et achetaient exclusivement en ligne, favorisant le succès des canaux de vente directe sur les réseaux sociaux et d’émissions de livestreaming inspirées du réseau de shopping à distance américain QVC.
Les acheteurs se procurent généralement les pingti en ligne et n’hésitent pas à se vanter d’avoir trouvé des articles rassemblant à s’y méprendre aux originaux. Des millions de vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent des vloggeurs en train de chanter les louanges de leurs pingti pour leur prix et leur qualité. Les consommateurs peuvent généralement passer commande directement via le chat en ligne et reçoivent leurs articles sous quelques jours.
Pour Sitoy, l’un des principaux fabricants d’imitations et l’un des seuls à être cotés en bourse, les marques privées ont généré environ un tiers des plus de 97 millions d’euros de ventes totales durant les six mois clôturés en décembre dernier. Les deux principales boutiques de Sitoy, sur TikTok et son cousin chinois Douyin, ont enregistré environ 200 millions de yuans de ventes (25 millions d’euros) au cours des douze mois écoulés jusqu’en juillet, soit plus du double du résultat de l’année dernière, d’après les chiffres de Zhiyi.
Sitoy, qui a fait ses débuts en tant que fabricant pour des clients externes, a connu un ralentissement des commandes en raison de l’incertitude économique et géopolitique, d’après son rapport financier. Pour compenser, le manufacturier a choisi d’investir dans les imitations, transformant un immeuble de quatre étages dans ses locaux au sud de la ville de Dongguan en centre de e-commerce pour ses propres labels, avec des studios de livestreaming, des boutiques physiques et des showrooms.
Produire des articles pour des marques internationales “n’est pas quelque chose dont on peut être fier“, pointe une femme dans une vidéo postée par l’entreprise sur Douyin. “Donc nous avons décidé de nous mettre en valeur, d’utiliser des matériaux et des savoir-faire équivalents à ceux des marques de luxe, en faisant appel aux même travailleurs expérimentés, pour proposer nos propres marques locales.“
Sitoy, Chicjoc, Chando, VFU, Hermès, Lululemon, Prada, la société-mère de Tumi Samsonite International SA, le propriétaire de Michael Kors Capri Holdings Ltd. et la société-mère de SK-II Procter & Gamble Co. n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
La plupart des consommateurs affirment que les différences entre les pingti et les originaux sont minimes, voire inexistantes. Un flacon de 330 ml de l’essence pour le visage de la marque japonaise de cosmétiques SK-II, produite à partir d’un ingrédient fermentant naturellement, se vend généralement pour 1.700 yuans. Sa copie de la marque chinoise Chando, utilisant le même ingrédient, ne vaut que 569 yuans.
La marque de pingti VFU, qui vend des copies de Lululemon, demande 200 yuans pour un legging de sport noir à taille haute similaire à celui de la marque d’athleisure, vendu quatre fois plus cher.
Mais malgré l’effervescence actuelle, il est encore difficile de savoir si ces marques locales vont réussir à s’imposer durablement face aux géants internationaux qu’elles copient.
Les personnes vendant des contrefaçons de piètre qualité essayent généralement de se faire connaître sur les canaux de distribution des pingti. Les réseaux sociaux et les plateformes de vente en ligne ne sont que peu surveillés, sorte de jungle du web où les entreprises et les usines peuvent promouvoir leurs articles de la façon dont elles le souhaitent. Il est donc difficile pour les consommateurs de savoir ce qu’ils achètent réellement. En général, les intermédiaires de distribution ne prennent aucune mesure de rétorsion envers les vendeurs publiant des informations mensongères.
Une incertitude qui n’arrête pas les acheteurs. La programmatrice financière Jessica Wang, âgée de 45 ans, a récemment dépensé 3.700 yuans pour un pingti du sac Lindy de Hermès, valant plusieurs milliers de dollars dans sa version originale. Elle l’a acheté auprès d’un vendeur sur WeChat dont les sacs à main imitent des modèles de luxe.
“Il a dépassé mes attentes sous plusieurs aspects: le cuir est extrêmement doux, les coutures sont délicates et l’emballage est joli et propre“, affirme Jessica Wang. “Je vais commander d’autres sacs auprès de cette boutique.“
Fashionnetwork avec Bloomberg