Auteurs : Frédéric Bally – post-doc au département Management et Technologie de Grenoble Ecole de Management ; Michele Coletti – Professeur Associé au département Management et Technologie de Grenoble Ecole de Management
Les vagues de chaleur et canicules arrivant de plus en plus tôt dans l’année et frappant aussi bien les milieux urbains que ruraux nous rappellent à quel point nos espaces ont besoin de nature pour réguler les hausses de températures.
Pourtant, nous observons un paradoxe : malgré le besoin croissant de nature en ville et de maintien de nature en périphérie des villes (en particulier pour les bienfaits qu’elles procurent) les infrastructures grises (autoroutes, bâtiments, parkings) continuent de se multiplier avec le prétexte du développement économique, au détriment de ce que nous appellerons les infrastructures vertes.
Par exemple, durant la période estivale, un panel de recherche conduit par la Chaire Territoires en Transition de Grenoble École de Management en 2020 a montré que 66% des gens interrogés du territoire grenoblois (population représentative de la métropole) se rendaient en montagne au moins une fois en été pour trouver la fraîcheur, et 29% y vont régulièrement pour éviter la chaleur[1]. C’est dire l’importance des espaces vertes et naturels et de leurs effets bénéfiques et cela souligne le besoin crucial de ces infrastructures dans les villes et les territoires périurbains.
“Infrastructures vertes” est un terme apparu dans les années ’80 qui permet de désigner ainsi les réseaux d’espaces verts et bleus qui peuvent améliorer les conditions et la qualité de vie des citoyens, mais aussi des non-humains : forêts, haies bocagères, rivières, jardins ou encore vergers sont des infrastructures vertes.
Ce concept d’infrastructures vertes a été consacré par l’Union Européenne en 2013 : “un réseau stratégiquement planifié de zones naturelles et semi-naturelles avec d’autres caractéristiques environnementales, conçu et géré pour fournir un large éventail de services écosystémiques tels que la purification de l’eau, la qualité de l’air, l’espace pour les loisirs et l’atténuation et l’adaptation au climat“.
De nombreux projets financés par l’Union Européenne, comme le projet LUIGI “Linking Urban and Inner-Alpine Green Infrastructure : Multifunctional Ecosystem Services for more liveable territories” dans lequel Michele COLETTI et Frédéric BALLY – Enseignants Chercheurs à Grenoble École de Management ont participé, viennent entériner cette notion dans l’espace de débat public.
LUIGI est un projet de 33 mois financé par l’Union européenne (UE) dans le cadre du programme Interreg Alpine Space (AS), qui implique 14 institutions partenaires et 26 observateurs d’Autriche, de France, d’Allemagne, d’Italie, de Slovénie et de Suisse.
Ce projet est un moyen de proposer des pistes pour la connectivité de ces infrastructures vertes, afin de les maintenir, voire de les redévelopper sur certains territoires, question au cœur des transitions nécessaires actuelles à travers trois voies. 1. Cartographier ces infrastructures vertes, 2. réfléchir à leurs valeurs – économiques, sociales et environnementales 3. comment mieux les gérer et les gouverner ?
Le projet permet en outre d’identifier trois problèmes au développement de ces infrastructures vertes:
• Elles s’inscrivent dans un temps long (des dizaines d’années), qui n’est pas forcément compatible avec les politiques publiques, à contrario des infrastructures grises que normalement sont réalisables dans quelques années et leur construction crée rapidement des emplois,
• Le concept d’infrastructures vertes est encore peu identifié au-delà des cercles politiques et experts, quand bien même il désigne des choses que tout un chacun rencontre au quotidien
• Les infrastructures vertes sont vues comme non-viables économiquement. (d’où l’intérêt de regarder du côté de leurs bénéfices). En fait, il subsiste une sorte de cercle vicieux autour des infrastructures vertes : beaucoup de parties prenantes du projet observent un manque de connaissance sur le sujet, conduisant à un manque de financement, car les impacts positifs de ces infrastructures sont peu connus et peu compris, même si certains sont très évidents comme l’eau.
Si le terme d’infrastructure verte parle aujourd’hui essentiellement à un public expert, un projet comme LUIGI a permis de mettre en avant l’utilité de ce concept tel qu’il est utilisé et défini aujourd’hui. L’échange de bonnes pratiques entre partenaires de différentes régions alpines aide à envisager un ensemble d’options pour développer des solutions de nature en ville. Le concept souligne l’importance des services écosystémiques à prendre en compte quand l’on parle d’espaces naturels ou d’espaces verts, c’est-à-dire la nécessaire prise en compte des bénéfices pour l’être humain, mais aussi pour la nature. Les infrastructures grises sont perçues par un seul de leur bénéfice, les infrastructures vertes présentent un ensemble de bénéfices pour les êtres humains.
Les travaux menés au sein du projet LUIGI montrent par exemple sur la région du Parc des Bauges entre Savoie et Haute-Savoie que les zones écologiques de conservation (des zones à forte teneur écologique, naturelle et culturelle) ne représentent que 12% du territoire (contre 13% en moyenne sur les différentes régions étudiées sur l’Arc Alpin). Ce chiffre est de 10% pour l’Isère. Dans le même ordre d’idée, la valeur des services écosystémiques mesurée sur l’ensemble des infrastructures vertes sur le Parc des Bauges est de 30/100 avec des services de pollinisation et d’approvisionnement en eau, contre 31 en moyenne sur les régions de l’Arc Alpin étudiées, dont l’Isère, qui possède elle des services écosystémiques plus axés sur le paysage et les activités outdoor. La prise en compte des concepts d’infrastructures vertes et de services écosystémiques permet de pointer les zones à risque, les endroits où agir, mais aussi les corridors écologiques de ces différents territoires, qui sont cruciales pour le maintien de la biodiversité.
En fait parler des infrastructures vertes ne suffit plus aujourd’hui, il est nécessaire de prendre en compte la connectivité de ces infrastructures. Malheureusement, en dehors des experts il y a un manque de compréhension de la connectivité écologique, et peu de communication sur ce sujet entre les parties prenantes à tous les niveaux géographiques. La connectivité concerne donc à la fois le niveau écologique – reliant les infrastructures vertes entre elles – mais aussi le niveau de la loi et des cadres – tissant des liens entre les niveaux de décision européens et les niveaux d’action locaux, par exemple.
Les infrastructures vertes et les couloirs écologiques qui les connectent ne sont pas seulement un souci des administrations publiques, mais les citoyens doivent prendre conscience de leur importance et s’engager directement. Les travaux du workpackage 3 (gouverner) du projet LUIGI soulignent l’importance d’une gouvernance partagée et concertée avec les différentes parties prenantes du territoire pour la prise en compte des infrastructures vertes.
Il y a donc nécessité aujourd’hui de reconnaître et de faire reconnaître ces infrastructures vertes afin de montrer leur importance et leurs différents services écosystémiques au sein de chaque territoire pour lutter contre le changement climatique au niveau local, tout en pensant comment mettre en action les différentes parties prenantes concernées : citoyens et résidents, institutions locales, entreprises, mais aussi recherche.
La labellisation de Grenoble comme Capitale Verte de l’Europe en 2022 et l’engagement de la Grenoble Alpes Métropole dans la transition écologique ne laisseront pas de traces profondes s’il n’y a pas cette prise de conscience que nous sommes tous concernés et nous tous pouvons contribuer au maintien des infrastructures vertes et de leurs services écosystémiques.
Pour en savoir plus :
Info complémentaires à consulter ICI (en français).
Les résultats du projet LUIGI sont disponibles ICI (en anglais).
Un livre basé sur ce projet et détaillant les défis et actions à mener pour le développement des infrastructures vertes est consultable ici (en anglais).
[1] Étude consultable ici : https://www.grenoble-em.com/actualite-etude-comment-les-habitants-de-la-region-grenobloise-vivent-les-vagues-de-chaleur