De notre envoyé spécial dans le triangle des Bermudes du tennis français,
Il s’agirait un jour de demander les cadastres du site de Roland-Garros à la Ville de Paris. Peut-être qu’en creusant bien, on y trouvera les corps sans vie de tennismen tombés dans l’oubli, on ne sait pas. Il vaudrait mieux que ce soit ça, d’ailleurs, car comment expliquer sinon que la maison mère du tennis français soit chaque année le triste théâtre des rêves déchus du tennis tricolore ? Que les valides s’y fracassent les dents tous les ans à la même époque, on veut bien l’entendre. Pour tout dire, on y est habitués et c’est l’inverse qui nous surprendrait.
Mais chez les paras, bon sang, on pouvait nourrir quelques ambitions de médailles avec un Stéphane Houdet qui les empile depuis près de quinze piges. Mais du haut de ses 53 ans, le natif de Saint-Nazaire va quitter une paralympiade sans la moindre médaille, et ce, pour la toute première fois de sa vie. Battu en quart de finale en individuel, le multimédaillé tricolore a aussi échoué dans sa quête de bronze, vendredi, en double, avec Frédéric Cattaneo, contre une paire espagnol qui leur rendait presque une vingtaine d’années au compteur.
Un double trop déséquilibré ?
Mais à lui non plus, tu ne lui parles pas d’âge. « En n’étant pas le plus jeune… Non, je ne vais pas dire ça car je ne suis pas fatigué à la fin de mes matchs, s’est-il repris en zone mixte après la défaite. Je fais partie de ceux qui, dans le top 8, n’ont pas le plus travaillé avant d’arriver aux Jeux. Avec deux enfants en bas âge, les nuits sont courtes, les couches, les biberons et une femme qui est une entrepreneuse qui fait le tour du monde, les priorités n’étaient pas toujours au tennis cette année. »
Et alors qu’une consœur retourne le couteau dans la plaie en lui rappelant que c’est la première fois qu’il quitte des Jeux paralympiques sans rien autour du cou, Stéphane Houdet sort son joker imparable, celui qui ferait fondre les cœurs des plus froids des êtres humains. La baby card, comme on l’appelle chez Pampers. « Mes médailles, elles sont dans mes bras », dit-il avec son petit garçon en bandoulière. Nous voici au sol, K.-O. technique de mignonitude, incapable de répliquer quoi que ce soit.
Orphelin de son pote de double, Nicolas Peifer, avec lequel il avait remporté l’or en double à Rio et Tokyo, Houdet a semblé moins en phase avec son nouveau coéquipier. Il faut dire aussi que le niveau des deux hommes n’est pas le même et que ça, les Espagnols l’ont bien compris en ciblant deux fois plus Frédéric Cattaneo. Bien plus discret en zone mixte, limite effacé, celui-ci s’est montré beau joueur : « On savait que ça serait un match compliqué et serré. On a des opportunités pour passer devant dans le deuxième set, mais on les rate. Ils ont osé plus que nous, félicitations à eux. »
Yannick Noah déçu et pas sûr de poursuivre l’aventure
Mais finalement, le plus déçu, du moins en apparence, semblait être Yannick Noah, le coach de l’équipe de France de tennis fauteuil qui avait accepté de répondre à l’invitation de Stéphane Houdet il y a environ un an.
« En simple, on a été surclassés, Stéphane fait un bon match mais il tombe sur plus fort que lui. En double, c’est une grosse déception, admet le vainqueur de Roland-Garros 1983. On a vécu une aventure tellement puissante… On savait qu’on allait vivre un moment unique dans notre vie, et c’est pour ça que les ambitions étaient décuplées. Je nous voyais avec une médaille, mais c’est comme ça, c’est le sport. La blague, ce serait de dire qu’il a toujours gagné et que, pile quand j’arrive, il perd. Mais je ne le ressens pas comme ça. » »
Lui non plus, qui louait quelques minutes plus tôt l’apport “incroyable” de l’ancien coach de Coupe Davis. “Yannick, c’est du très haut niveau. En quelques mois, il a été capable de révolutionner notre manière de travailler”, salue Stéphane Houdet. De quoi envisager de prolonger l’aventure jusqu’en 2028 à Los Angeles. Pour le coup les violons ne sont pas vraiment accordés.
Tandis que le premier assurait qu’il n’avait pas l’intention de prendre sa retraite malgré ses 53 ans et que « Yannick aussi » allait continuer – « il nous l’a annoncé », assurait Houdet après le match – le second n’est pas aussi catégorique. « C’est difficile de le dire à chaud, confie Noah. Quand on a connu de telles émotions, je sais par expérience qu’on va tous avoir une puissante gueule de bois. On verra quand on se reverra pour faire le bilan ». Ça ressemble quand même plus à un adieu qu’autre chose, mais on peut se tromper, c’est même à ça qu’on nous reconnaît.