Le jour où Charles Aznavour a dénoncé l’homophobie en France avec “Comme ils disent” comme aucun autre artiste avant lui

Le jour où Charles Aznavour a dénoncé l’homophobie en France avec “Comme ils disent” comme aucun autre artiste avant lui

“Je suis un homme, oh comme ils disent. ” Des mots simples, sans détours ni moqueries. Sur scène, un soir de 1972, Charles Aznavour entame les premiers couplets de sa nouvelle chanson intitulée Comme ils disent. Les premières paroles laissent penser à l’histoire d’un vieil homme, un Tanguy, et puis : “Mais mon vrai métier / C’est la nuit que je l’exerce travesti / Je suis artiste.” 

Nous sommes au début des années 70, et la société française est encore largement conservatrice. Bien que les événements de mai 68 aient apporté un vent de liberté, l’homosexualité reste un sujet tabou, honteux pour beaucoup.

Un portrait intime, loin des stéréotypes homophobes

Pourtant, Charles Aznavour, avec sa plume et son “je”, se lance et écrit Comme ils disent. Il se glisse dans la peau de cet homme “un peu styliste”, homosexuel mais loin des stéréotypes répétés, sans grands discours mais avec une humanité déchirante et une sensibilité rare. L’interprète de La Bohème dresse un portrait intime et nuancé. Celui d’un homme qui “vit seul avec maman” et “fait ce qu’il peut”, tout en s’éloignant des normes hétérosexuelles qui le rejettent.

L’exercice est périlleux. L’artiste en prend conscience lorsqu’il chante Comme ils disent pour la première fois devant certains de ses amis homosexuels. “Ça a jeté un froid. Puis on m’a demandé qui allait chanter ça. J’ai répondu : ‘moi’. Nouveau silence. Puis quelqu’un s’est inquiété de savoir si je ferais une annonce. Vous m’imaginez annonçant sur scène que je vais me mettre à la place d’un homosexuel, alors que je ne le suis pas ? Il n’était pas question de reculer !”, se souvenait-il dans les colonnes du Figaro en 2015.

Dans les salles à partir du 23 octobre 2024, Monsieur Aznavour, réalisé par Grand Corps Malade et Mehdi Idir, rend hommage à la place de Comme ils disent dans le répertoire du grand Charles. Un passage touchant du biopic porté par l’impressionnant Tahar Rahim met en scène le chanteur en fin de concert, déçu sa performance du soir, demandant à son ami, chauffeur et secrétaire Androuchka de sortir. Ce dernier l’emmène dans un club queer. Loin d’être rebuté, Charles Aznavour est touché par les artistes qu’il rencontre cette nuit-là. Ainsi germe en lui, selon le scénario du film, l’envie d’écrire un morceau qui leur rend hommage.

Les larmes coulent sur les visages de cette troupe lorsqu’ils découvrent Comme ils disent ensemble, dans leur téléviseur, dans une autre scène du biopic, qu’on ne sait réelle ou fictive. Des larmes d’émotions d’être représentés à cette échelle, simplement, sans être moqués ni jugés… D’avoir été compris.

Charles Aznavour n’a pas reculé, et il a eu raison. Sa chanson a rencontré un succès sans équivoque. Dès sa sortie, à l’été 1972, le public s’arrache son 45 tours à la pochette sobre.

Même enthousiasme du côté des critiques : “D’emblée, la presse a salué une chanson extraordinaire, jugeant audacieuse cette interprétation empathique, à la première personne, des sentiments d’un homosexuel”, se remémore Robert Belleret dans son livre Vies et légendes de Charles Aznavour (éd. de l’Archipel, 2018).

Et les principaux concernés, qu’en pensaient-ils ? L’écoutaient-ils ? Faisaient-ils des “numéros très spéciaux qui finissent en nu intégral” au rythme de Comme ils disent ? Hélène Hazera, journaliste à France Info (qui avait longuement interviewé Charles Aznavour en 2005) se souvenait à sa disparition que cette chanson a “été immédiatement populaire dans le milieu gay, et déclinée dans un numéro de travesti que vous voyiez partout.”

Une dénonciation de l’homophobie

Le succès de Comme ils disent réside dans la subtilité et la sensibilité des paroles. Charles Aznavour ne tome pas dans les clichés homophobes. En un peu plus de quatre minutes, il brosse le portrait d’un homme pour qui on ressent de l’attachement et de la compassion, sans pour autant le dépeindre comme une victime. Cet “homme oh, comme ils disent” n’est autre que monsieur tout le monde, qui “cuisine”, “range” et “lave”. Charles Aznavour dénonce l’homophobie que son personnage subit : c’est aussi celui qu’on singe, blâme, alors que “c’est bien la nature qui est (la) seule responsable”.

“C’était la première fois qu’on ne se moquait pas des homosexuels. Je trouvais ridicules les ‘chochottes’, ‘les machins’. Je trouve ça absolument ridicule. Ce n’est pas à nous de juger”, expliquait Charles Aznavour en 2014 au micro de BFMTV. 

Dix ans avant l’abrogation du “délit d’homosexualité”

Avec ce titre, Charles Aznavour a permis une véritable avancée dans la représentation des personnes homosexuelles dans la chanson française.  

Très peu d’artistes osaient aborder de front ce sujet, encore moins sous cet angle intime. Michel Sardou s’y était bien essayé avec Le Privilège, mais le succès était bien moindre.

 “On peut tout dire en chanson, à condition que ce soit sincère, bien écrit et sans vulgarité”, résumait-il, toujours auprès du Figaro. Car il faut le rappeler pour comprendre l’impact de ce titre sorti en sorti en 1972 : en France, la loi Forni qui abroge définitivement le “délit d’homosexualité” et met fin à la discrimination pénale visant les homosexuels depuis 40 ans ne date que du 4 août 1982.

Un titre qui résonne encore dans la communauté LGBTQ+

Comme ils disent continue résonner au sein de la communauté LGBTQ+, plus de cinquante ans après sa création. L’interprétation de Keiona, la gagnante de la saison deux de Drag Race France, lors de sa participation à Danse avec les Stars en 2024 sur TF1, en est un exemple frappant. En choisissant d’exécuter une danse contemporaine sur ce titre emblématique, Keiona a non seulement rendu hommage à l’œuvre de Charles Aznavour, mais a aussi partagé un moment personnel et touchant.

Son émotion palpable à la fin de la prestation reflète à quel point la chanson fait écho à son propre parcours, ainsi qu’à celui de nombreuses personnes au sein de la communauté LGBTQ+. Cette performance a non seulement bouleversé le public, mais elle a également rappelé une leçon de Charles Aznavour : l’art permet raconter des histoires souvent invisibilisées.

 

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