La Fédération Française de Basket-Ball n’a pas brillé par sa communication hier à l’occasion d’une grande conférence de presse en vue des Jeux Olympiques. Elle continue d’aller dans une direction dangereuse, se mettant les joueurs et, surtout, le public à dos.
Extraordinaire. À l’heure où tous les matches de toutes les compétitions du monde sont visibles sur internet, la performance de Marine Johannès lors du match 1 des WNBA Finals n’est pas passée inaperçue. En France, bien sûr, où la joueuse est très suivie, mais aussi dans le monde entier, provoquant même une réaction subjuguée signée LeBron James “himself”.
Mais ce qui est extraordinaire, ce n’est pas forcément la performance en elle-même, c’est la réponse de la manager générale des Bleues, Céline Dumerc. Interrogée sur l’absence de tweet ou de réaction de la fédération quant à cette performance, lors d’une grande conférence de presse en vue des Jeux Olympiques hier, elle envoie une réponse qui tutoie le sublime.
Effectivement, on n’est pas obligé, mais quand on tweete sur les 9 points et 8 rebonds de Rudy Gobert en match de présaison NBA (!), ou sur les 16 points et 15 rebonds d’Iliana Rupert dans un match de saison régulière du championnat italien, on peut se fendre d’un tweet sur la perf d’une Bleue en finale du plus grand championnat féminin de basket du monde.
La raison, on la connaît tous. Le différend latent entre la FFBB et Johannès remonte à la préparation de l’Euro, quand la meneuse a été écartée pour avoir voulu faire un aller-retour aux États-Unis pendant la préparation, afin de signer son contrat en WNBA. Résultat, pas d’Euro. On sait très bien, que prendre ce genre de décision, ce n’est payant que si l’équipe gagne.
Or, les Bleues n’ont pris “que” le bronze alors qu’elles visaient l’or. Et quand on repense au scénario, la présence de Johannès n’aurait clairement pas été superflue. Mais ce qui est le plus gênant dans cette histoire, c’est l’hypocrisie de la FFBB, et notamment de Dumerc, elle-même, qui déclarait dans La Dêpeche du Midi en 2014, après avoir signé elle-même en WNBA :
“Là, je l’ai joué un peu égoïste, je me suis dit, à moi de me faire plaisir, j’ai la chance d’avoir l’opportunité, je vais forcément louper une partie de la préparation avec l’équipe de France, cela me fait mal au cœur, mais pour une fois, je n’ai pensé qu’à moi.”
La préparation en question était pour la Coupe du monde 2014, que Dumerc a pu disputer, et terminée à la 7ᵉ place. Un passe-droit donc validé par la FFBB à l’époque. Autre temps, autres mœurs, pensera-t-on. Sauf que le président était déjà Jean-Pierre Siutat, celui qui déclarait après le dernier Euro : “nous n’avons sanctionné aucune joueuse”.
Mais ce n’était pas le summum de la journée, puisque Jean-Pierre Siutat et Boris Diaw, le manager des Bleus, sont revenus ensuite sur le cas Joel Embiid. Le MVP de la dernière saison de NBA a finalement décliné la chance de jouer avec l’équipe de France pendant les prochains Jeux Olympiques, privilégiant Team USA. Une issue convenue, mais pas pour les deux protagonistes, dont le président.
“Joel a envisagé de jouer en équipe nationale. À sa demande, nous avons fait des démarches pour qu’il ait la nationalité française, mais nous n’avons jamais été demandeurs. Je suis déçu d’avoir passé autant de temps et d’énergie sur un dossier qui au bout du compte n’aurait pas dû être initié… ou en tout cas qui ne l’a pas été à notre demande.”
De un, la naturalisation de Joel Embiid est une insulte aux milliers de personnes qui demandent une naturalisation tous les ans, et pour de meilleures raisons que le Camerounais. De deux, il suffit qu’un joueur manifeste de l’intérêt pour la sélection pour que la FFBB fasse le dossier elle-même ? On tutoie le sublime. Boris Diaw est “déçu d’avoir passé autant de temps et d’énergie sur un dossier qui au bout du compte n’aurait pas dû être initié… ou en tout cas qui ne l’a pas été à notre demande”. Il fallait y réfléchir avant.
Enfin, afin de fignoler le tableau, la FFBB a ouvert la porte à un retour possible en sélection des joueurs qui évoluent dans le Championnat russe. Le cas le plus célèbre étant Thomas Heurtel, qui avait attendu la fin de l’Euro 2022 pour signer en Russie, étant de facto exclu de la liste pour la dernière Coupe du monde. Pour le résultat que l’on sait (élimination en deux matches).
Heurtel était un homme de base des Bleus depuis des années. Bon défenseur, il a laissé un grand vide dans ce domaine. Et que vient déclarer Vincent Collet à la suite de cela ? Son regret de ne pas avoir sélectionné Andrew Albicy parce qu’“on ne pensait pas qu’on descendrait autant défensivement.” Et pour tenter de se dédouaner, il a rappelé qu’“il y a aussi la blessure de Frank Ntilikina qui joue : on a perdu un autre défenseur sur le poste de meneur”. Pourquoi ne pas avoir rappelé Albicy après avoir perdu ses deux meilleurs défenseurs sur le poste 1 dans ce cas ?
Comment un sélectionneur à la tête des Bleus depuis 2009 est-il en mesure de commettre une telle erreur de jugement ? Un signe de fin de cycle ? Pourtant, après le naufrage du dernier Mondial, jamais Collet n’a été sur la sellette. Jamais sa démission n’a été évoquée. Pourquoi garder Collet après une humiliation comme celle-ci et ne pas reconduire Valérie Garnier après une médaille de bronze olympique à la tête des Bleues en 2021 ?
Au lieu de ça, le seul réajustement est le recrutement d’un nouvel assistant coach, pour remplacer Laurent Foirest, parti durant la préparation. “Peut-être un profil étranger, ou avec une expérience à l’étranger” selon Diaw, comme si ce genre de profils était facile à trouver. Aucune remise en question, aucun bouleversement après la pire Coupe du monde de l’histoire des Bleus.
Non, il suffira d’aller à Paris avec cette équipe et Victor Wembanyama – s’il est en mesure de venir, c’est-à-dire si sa franchise lui donne le feu vert, ce qu’elle n’a pas fait cet été. Les équipes de France ont fait deux médailles aux derniers JO, mais rien ne permet d’affirmer aujourd’hui qu’elles feront aussi bien. Au moins, en tout cas, selon le sélectionneur des Bleues Jean-Aimé Toupane, Marine Johannès pourra participer aux JO.
Mais pas question d’assumer ses responsabilités pour autant. Céline Dumerc en a rajouté une couche en déclarant que “moi, ce que j’ai eu l’occasion de lui dire, c’est qu’à un moment donné, il y a des choix qui ont été faits et il faut simplement les assumer.” Tout comme la FFBB assume de traiter de façon disparate ses athlètes. Heureusement, tout va bien, puisque le président de la FFBB a déclaré qu’“aujourd’hui, nous avons l’assurance des joueuses elles-mêmes d’être là au premier jour et c’est ça qu’on souhaite pour avoir une saine préparation aux Jeux olympiques”.
Autrement dit, on a fixé des conditions auxquelles les joueuses se sont pliées. De bonne ou de mauvaise grâce, on ne le saura pas. Mais que se passe-t-il si la WNBA veut encore récupérer Marine Johannès, ou Gabby Williams (blessée), ou d’autres joueuses ? Envoyer ses joueuses aux USA, c’est assurer le rayonnement du basket français à l’international, et pas seulement par le biais d’un certain n°1 de draft (on rappellera que la LNB, désireuse d’apporter sa pierre à l’édifice, avait vendu 133 000 euros les droits de diffusion de ses matches, alors qu’elle aurait pu obtenir 10 fois plus).
Qu’est-ce qui est le mieux pour la France ? Une médaille olympique, évidemment. Mais qu’est-ce qui est le mieux pour les joueurs et joueuses ? Les deux, bien entendu. Ce qu’on retient de cette histoire, c’est que Victor Wembanyama peut déclarer qu’il veut ramener l’équipe de France au sommet du basket mondial, déclarer forfait pour la Coupe du monde dans la foulée, et s’en tirer sans une seule critique.
C’est qu’un joueur étranger sans aucune connexion avec la France, qui n’a peut-être jamais posé le pied dans l’Hexagone, mentionne que “peut-être, il jouera avec les Bleus”, et tout le monde se plie en quatre pour favoriser son arrivée. Mais quand une joueuse cadre des Bleues veut faire passer un cran à sa carrière, on la force à choisir au nom du fameux “intérêt supérieur de l’équipe de France”.
Sexisme déguisé ? On espère que non. Mais quoi alors ? Pourquoi une telle différence de traitement entre différents basketteurs et basketteuses ? Nous sommes à moins de dix mois des Jeux Olympiques, et cette conférence de presse, censée remettre de l’ordre, n’a pas levé la moindre zone sensible. Elle n’a fait que jeter le trouble sur le fonctionnement d’une fédération qui a clairement toute une méthodologie à revoir. Si seulement c’était la seule en France…