Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
11 juin 2021
Le jour même où un mécontent giflait Emmanuel Macron en province, la start-up nation tant désirée par le président se montrait sous un autre jour : celui de l’inauguration de La Caserne, un nouvel incubateur mode dynamique installé dans un bâtiment ayant abrité la plus grande caserne de Paris.
Soutenue par des gros bonnets tels que LVMH, Kering et Woolmark, La Caserne est financée par le milliardaire industriel français Jacques Veyrat. Ce bel espace en pierre de taille pourra héberger jusqu’à 40 jeunes créateurs, qui bénéficieront d’ateliers individuels pendant trois ans. Une douzaine de marques d’accessoires pourront aussi s’y installer.
L’espace veut jouer le rôle de catalyseur d’une transformation radicale de la mode française, encourageant une nouvelle génération de créateurs à travailler avec des matériaux durables et/ou recyclés dans leurs collections. L’exemple le plus typique de ce nouveau paradigme est peut-être Benjamin Benmoyal, un designer franco-israélien dynamique dont les créations mêlent des bandes de vidéocassettes avec des fibres nobles comme le cachemire, dont la plupart sont fournies par Nona Source, une filiale de LVMH qui permet aux jeunes créateurs d’avoir accès aux chutes de tissu des grandes maisons.
Situé dans le dixième arrondissement, derrière la Gare de l’Est, La Caserne semble en tout cas être un lieu de travail agréable. Avec son grand jardin en gravier et son podium extérieur au premier étage, la rénovation de l’édifice a coûté la modique somme de cinq millions d’euros. Une fois complètement opérationnel, en septembre, le bâtiment sera aussi doté d’un restaurant végan diaphane sur le toit, avec une vue sur les célèbres ponts de chemin de fer maintes fois représentés par les impressionnistes. Sa cave de 400 mètres carrés, quant à elle, accueillera un club de jazz.
Nous avons rencontré Maeva Bessis, la PDG de La Caserne. Ex-directrice de l’Exception, un concept store en ligne avec plus de 400 marques, Maeva Bessis est une passionnée de digital, d’acquisition de trafic et de marketing. Elle a vécu au Canada et parle anglais couramment, et c’est dans cette langue que nous évoquons sa vision de La Caserne.
FashionNetwork.com : Quel est le concept de La Caserne ?
Maeva Bessis : C’est un accélérateur de transition écologique pour l’industrie de la mode. Vous savez probablement que la mode est un secteur très polluant, et maintenant, les créateurs veulent produire de façon plus responsable mais ont besoin d’accompagnement. Ici, nous incubons les marques pendant trois ans et leur donnons accès à des formations, des matériaux et des contacts, pour qu’elles puissent prendre des engagements durables.
FNW : Qui va bénéficier de vos services ?
MB : Ce sont principalement des jeunes créateurs car les espaces sont plus réduits. Nous avons une quarantaine de marques. 25 d’entre elles font du prêt-à-porter, et les 15 autres sont spécialisées dans la maroquinerie. Nous incubons notamment Benjamin Benmoyal, qui participe à la fashion week de Paris. Et notre programme de maroquinerie est tout aussi important. Nous collaborons avec AFP France Handicap pour former les personnes en situation de handicap à travailler des cuirs de qualité. De nombreuses études suggèrent que la perte d’un sens tend à être compensée par le développement des autres. Donc nous pensons que c’est une opportunité de former de très bons artisans, très sensibles aux matières.
FNW : Quel est le rôle de LVMH ?
MB : Ils ont une start-up appelée Nona Source qui permet de réutiliser des chutes de tissu. Les tissus sont un énorme problème, car la plus grande partie de la pollution dans la mode vient du développement des tissus. Donc nous avons un espace Nona Source dédié au sourcing des matières premières. C’était vraiment dommage que les maisons de mode possèdent tant de matières qu’elles n’utilisaient pas. Maintenant, nos jeunes créateurs et nos start-ups sont enchantés d’avoir accès à ces matières.
Et Kering est notre partenaire de financement. Depuis le début, Kering m’a aidée à comprendre bon nombre de problématiques de l’industrie et à imaginer de meilleures façons de travailler.
FNW : Le bâtiment est municipal, n’est-ce pas ?
MB : Oui. La maire de Paris voulait que cet endroit soit utilisé par des professionnels innovants. Nous avons présenté notre projet sous un angle concurrentiel et ils l’ont adoré. Paris a la responsabilité de prouver que la mode peut être responsable et rentable à la fois.
FNW : Quand vous parlez de « nous », de qui s’agit-il ?
MB : Mon patron et moi. Il s’agit de Jacques Veyrat, un entrepreneur français spécialisé dans les télécoms et les énergies renouvelables qui adore la mode. La mode est un projet qui lui tient à cœur ; il est le seul investisseur de l’entreprise. Nous avons un bail à long terme dans un bel espace. Jacques m’a fixé trois objectifs : avoir un impact, créer un lieu tendance et ne pas lui faire perdre trop d’argent !
Il s’agit de la caserne d’incendie la plus ancienne de Paris ; il fallait vraiment respecter l’esprit du bâtiment, garder son charme et son âme. Nous avons travaillé avec Chaix et Morel (qui ont aussi travaillé sur le nouveau siège social de Saint Laurent sur la rive gauche), un cabinet d’architecture parisien qui a ajouté cette passerelle. C’est une excellente idée pour relier les espaces, car notre projet a un esprit vraiment collectif.
FNW : Quel montant d’investissement cela représente-t-il ?
MB : Plusieurs millions. Je n’ai pas les chiffres exacts de la rénovation, mais je peux vous dire que cela dépasse les cinq millions d’euros.
FNW : Quel est le rôle de LVMH ?
MB : Nous sommes en relation avec Nona Source, qui fait partie de LVMH. Nous n’accueillons que des start-ups qui sont utiles et nécessaires pour la transition de notre industrie. C’est vraiment dommage que dans les grandes maisons, de nombreux matériaux ne soient pas utilisés. Maintenant, Nona peut utiliser les chutes de ces maisons pour aider les jeunes start-ups de mode à démarrer sur le marché. Les jeunes créateurs sont enchantés de travailler avec ces matières.
FNW : Vous ciblez spécifiquement des créateurs centrés sur le recyclage, la responsabilité environnementale, la disruption, etc. C’est ce que vous recherchez ?
MB : Je recherche des personnes qui dirigent le nouveau monde et je pense que les créateurs de demain sont ceux qui peuvent gérer ces contraintes. Les contraintes forcent à utiliser la créativité et les designers d’avenir doivent en être conscients.
FNW : Dans cinq ans, quels sont les critères qui vous feront dire que cette entreprise est un succès ?
MB : Actuellement, les jeunes créateurs sont de notre côté. Maintenant, nous devons engendrer un mouvement qui nous rapproche des grandes marques, car si nous voulons avoir un impact à grande échelle, nous devons travailler avec ceux qui font vraiment la différence. Donc le principal facteur de succès pour moi est de faire comprendre aux personnes du milieu institutionnel ce qui est important et ce qui ne l’est pas, et comment faire changer les choses sans renoncer aux profits. Parce que nous parlons d’entreprises, nous parlons de marchés. Si l’on veut faire les choses correctement, il faut savoir mesurer son impact et choisir ces matières. Donc mon rêve serait de rencontrer beaucoup de personnes travaillant pour de grandes marques et de les faire venir à La Caserne, pour un événement ou pour une formation. On peut apprendre en s’amusant !
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