La bataille de Versailles a opposé l’inébranlable foi du nouveau monde en la méritocratie au système de classes sclérosé, hiérarchisé, voire monarchique, de l’ancien monde. Elle a mis en évidence le gouffre entre le commerce (la Septième Avenue) et l’art (la haute couture), entre le prêt-à-porter (plus en adéquation avec les nouveaux modes de vie des femmes, plus décontractées et libérées) et un sur-mesure exclusif et chronophage. Mieux, l’événement a mis un coup de projecteur sur la diversité états-unienne et offert une tribune internationale au mouvement Black Is Beautiful : 10 des 36 mannequins et un des cinq créateurs de l’équipe de la bannière étoilée étaient afro-américains.
Voici donc l’histoire de cet événement hors norme vue au prisme de la presse américaine de l’époque.
Les femmes derrière l’évènement exceptionnel
Le Grand Divertissement à Versailles est sans aucun doute le fruit d’un travail d’équipe, mais on en doit l’idée à Eleanor Lambert, grande figure de la mode américaine, déjà à la manœuvre derrière la Best-Dressed List, les Coty Awards et le Council of Fashion Designers of America (Conseil des créateurs de mode d’Amérique). Également chargée des relations publiques de plusieurs créateurs, elle a fait en sorte que ses clients soient bien représentés au sein du continent américain. La baronne Marie-Hélène de Rothschild, nommée présidente d’honneur, a quant à elle pris la direction des opérations en France. Grande dame de la société et célèbre hôtesse (on se souvient du fameux bal surréaliste des Rothschild en 1972), elle est suffisamment habile pour gérer les egos créatifs en surchauffe et dispose de l’entregent nécessaire pour obtenir le feu vert du président Georges Pompidou pour investir le château.
“Il y a deux étés, alors que Lambert passait ses vacances sur la Côte d’Azur, elle a mentionné à portée de voix de Gerald van der Kemp, conservateur en chef de Versailles, que si jamais il avait besoin de récolter des fonds via une œuvre de bienfaisance, elle avait une idée folle. ‘Il a écouté l’idée, dit Lambert, et suggéré Versailles.’”
— “Versailles Palace Fund-Raiser Was an American Designers’ Triumph,” par Wini Rider. The Gazette, 6 décembre 1973.
“Selon ses propres termes, l’événement pailleté que Marie-Hélène organise le 28 sera ‘non seulement la plus grande soirée à Paris depuis des années, mais aussi la plus grande soirée depuis des années dans toute l’Europe’.”
— “They’ll All Eat Cake,” par Suzy [Aileen Mehle]. Bingham Post-Herald, 2 octobre 1973.
Avant les festivités…
Versailles durera une semaine, ponctuée de fêtes glamour où se déchaînent les rivalités. Le dimanche, un dîner organisé par le propriétaire du très chic Colony Club donne le coup d’envoi des festivités, suivi le lendemain par une fête chez Maxim’s, fraîchement repris par Norton-Simon (le conglomérat vient alors également d’acheter Halston), en l’honneur de Liza Minnelli (qui interdit les photographes à l’intérieur du restaurant). Enfin, pour refermer la semaine, le Baron de Redé donne un dîner en l’honneur de Kay Thompson, qui a pourtant déjà quitté Paris (la chroniqueuse Suzy verra dans cette soirée une façon pour Versailles de se “frotter la bouche au savon”, un convive aurait dit qu’elle “enlevait le vilain goût laissé par toutes les querelles entourant les Folies de Versailles et toutes ces belles langues de vipère”). Sous les smokings, les robes soyeuses et les bijoux étincelants des invités, couvent rivalités, jalousies et inquiétudes.