Qui est le meilleur promoteur du piratage dans la France du sport ? Les médias, comme l’a laissé entendre le directeur général de DAZN en France, Brice Daumin, au micro de France Info ? Ou bien ceux qui sèment d’embûches le chemin de l’accès au football à la télévision pour le plus grand nombre ? « L’augmentation des streamings illégaux en ligne n’est pas notre responsabilité, veut croire Daumin. Le prix et le piratage n’ont rien à voir. Le piratage n’est pas une alternative à DAZN. »
Il peut en revanche être une alternative au néant. Les suiveurs de la Serie A en France en sont témoins, leur championnat favori n’a toujours pas eu droit à la moindre seconde de diffusion chez nous, faute d’accord avec un diffuseur. Après 12 années de Calcio sur ses antennes, beIN Sports hésite à prolonger l’aventure mais n’a pas encore quitté le navire. « Florent Houzot, le directeur des antennes et des programmes de BeIN a indiqué il y a deux semaines lors de la conférence de rentrée de la chaîne qu’il échangeait avec la Lega Serie A pour éventuellement renouveler ses droits », rappelle François Lefèvre, spécialiste de la question des droits TV à News Tank Sport.
Les négociations s’éternisent et, faute d’accord, la 5e journée de Serie A n’échappera pas non plus à l’écran noir en France. Les plus obstinés n’ont d’autre choix que de transgresser pour mater le derby de la Madonnnina ou Juve-Naples ce week-end. De beIN à l’IPTV, le mouvement est en marche. « Je reçois beaucoup de messages de gens qui font part de leur ras-le-bol et disent s’être désabonnés de beIN à cause de la situation », témoigne Guillaume Maillard-Pacini, caution italienne d’Eurosport, en première ligne sur le dossier.
« On peut regarder le championnat saoudien, belge, portugais, etc., mais pas la Serie A, qui compte parmi le top 5 des championnats au monde, s’indigne un autre suiveur du foot italien, bien connu sur X (Twitter). C’est une honte. Pour le derby Inter-Milan AC, ça sera soit sur l’IPTV ou alors via VPN pour le voir sur une chaîne étrangère gratuite. »
35 joueurs français en Serie A, l’argument de vente imparable
S’il n’émeut guère dans les chaumières italiennes – pas une ligne dans la presse, même sportive – le sujet chagrine tout de même les acteurs du football transalpin : la France est un des marchés majeurs dans la quête des 250 millions d’euros de droits TV à l’international, ne serait-ce que parce qu’elle est surreprésentée en Serie A. Les 35 joueurs qui la composent en font la plus grande diaspora au sein du championnat.
Un argument de vente mais aussi d’exigence dans les négociations, précise Guillaume Maillard-Pacini : « autant il n’y a pas la même déraison qu’en France sur la question des droits, dans le sens où les dirigeants sont assez conscients de la valeur de leur produit, sur le fait qu’il y a moins de stars, autant ils ont du mal à faire un geste pour la France qui a la plus grande colonie de joueurs en Italie. Les Français, eux, refusent de participer aux enchères. Chaque partie a des prix éloignés les uns des autres. »
Trois diffuseurs potentiels dialoguent actuellement avec la Lega Serie A :
Un candidat mystère : Un acteur bien connu du marché qui refuse de sortir du bois et reste à l’affût au cas où les deux autres abandonneraient la mise.
DAZN : Diffuseur à 100 % du Calcio en Italie, la plateforme de streaming est aussi sur le coup. « Ça serait pour eux un bon moyen de compléter leur panier et renforcer leur offre au côté de la Ligue 1 », estime Luc Arrondel, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’économie du football.
BeIN Sports : Le partenaire historique de la décennie précédente ne semble plus disposé à balancer des billets par la fenêtre pour tout rafler. « Florent Houzot a émis l’hypothèse d’une reprise des droits de la Serie A si c’était en accord avec la stratégie du groupe et que cela ne mettrait pas en danger les investissements de beIN Sports », confie François Lefèvre.
Le marché du football il a changé
Quelle est donc cette nouvelle stratégie ? Entre le feuilleton des droits TV du football français, récemment marqué par un retard dans le versement de la première tranche due par le groupe qatari aux clubs de Ligue 1 et le dossier Serie A, beIN lève aussi le pied sur la NBA, pour le moment sans diffuseur en France pour la saison à venir. « Chaque acquisition doit être raisonnée pour pérenniser le modèle économique de beIN Sports qui, depuis trois ans, gagne de l’argent, se félicitait Florent Houzot dans L’Equipe. Notre objectif est de continuer dans cette dynamique. Il faut se mettre d’accord sur le bon prix. »
« Avant, les chaînes mettaient de l’argent sur le foot parce que ça pouvait être un produit d’appel, comme Canal l’a longtemps fait par exemple, explique Luc Arrondel. La logique était de se dire, on est déficitaire sur tel produit mais on se rattrapera sur le reste du catalogue. » La Serie A est-elle toujours un produit d’appel ? Certes, elle se vend toujours à l’étranger et la France est le seul grand pays de football à s’en passer, mais sa popularité est incomparable à ce qu’elle était dans les années 90-2000. En témoigne l’échec des acteurs du foot italien à revaloriser leur championnat lors du dernier appel d’offres pour les droits TV domestiques (900 millions d’euros par saison contre 927 millions lors du précédant accord).
En France, le Calcio perd de la valeur à mesure que l’écran noir s’étend et que les mécontents cèdent à la tentation de l’IPTV, dont on ne revient que rarement. Marco, supporter français d’origine italienne, en témoigne :
« Mes amis et moi nous sommes tournés vers une solution de repli illégale, et je peux vous assurer que si un diffuseur récupère enfin les droits, ils n’y retourneront pas. Parce que tout le monde est satisfait. » »
Le journaliste d’Eurosport craint pour sa part que la 5e journée et ses grosses affiches à la trappe ne marquent un coup définitif à l’acte de dévaluation. « La Ligue était persuadée de trouver un accord pendant la trêve internationale, la période s’y prêtait. Tout le monde pensait que la situation se débloquerait avant les gros matchs de ce week-end. Force est de constater que ça n’a pas été le cas. Il faut se poser la question de l’offre maintenant que cinq journées et beaucoup de gros matchs seront passés. On est sur une situation que je n’ai personnellement jamais connue en France. »
Jusqu’à quand ? En Italie, les acteurs croient toujours à une issue favorable, mais de moins en moins de gens mettraient leur main à couper qu’il n’y aura pas de black-out toute la saison.