Entre universalisme et nationalisme, la compétition n’est pas évidente. C’est pourtant tout l’esprit des compétitions sportives internationales, telles qu’elles se mettent en place à la fin du 19e siècle, particulièrement avec les Jeux olympiques imaginés par le Français Pierre de Coubertin. Cette course effrénée, entre passion sportive, politique, puissance, prend tout son sens pendant la guerre froide, où les compétiteurs ne se résument pas aux États-Unis et à l’URSS : le monde entier est concerné quand il s’agit de faire bloc derrière ses athlètes.
Le sport, un vecteur de propagande
De l’après-guerre aux années 1980, la guerre froide est celle du soft power. Du cinéma à la musique, l’affrontement des deux superpuissances est avant tout culturel et symbolique. Dans cette course à la supériorité morale, le sport occupe une place centrale. À l’ouest comme à l’est, une véritable “propagande athlétique” se met en place. Les prouesses sportives des athlètes deviennent la vitrine du bloc qu’ils représentent et se font la preuve vivante de leur santé physique et morale.
L’historien Sylvain Dufraisse travaille sur le sport et les pratiques physiques en URSS. Il fait observer que l’objectif de propagande par le sport vise à “renforcer le prestige de la nation” soviétique, “en particulier auprès d’un public éloigné de la galaxie communiste.” Il s’agit de “changer l’image des Soviétiques en montrant des jeunes hommes et des jeunes femmes souriants et agréables.” L’historien prend l’exemple des Jeux olympiques d’Helsinki, en 1952, où “les sportifs soviétiques sont les chantres du camp de la paix et montrent qu’ils sont contre le bellicisme.” Ils en font la démonstration “à l’occasion de différentes scènes de fraternisation.”
Des compétitions internationales à l’héroïsation des stars du sport, les stades deviennent l’une des scènes majeures de la guerre froide. Si le sport joue un rôle sur les événements de la guerre froide, la réciproque est également vraie : ces années sont celles où de nouvelles pratiques s’imposent et modifient en profondeur les pratiques du sport professionnel, où le dopage et les intérêts financiers occupent désormais une place de choix.
Sport et revendications politiques
Cet affrontement symbolique, s’il est essentiellement polarisé entre les deux blocs et leurs modèles idéologiques, implique également d’autres acteurs. Les pays récemment décolonisés cherchent à exister indépendamment des deux superpuissances et à faire du sport un outil d’émancipation pour leurs nations en construction. Cette volonté de s’opposer aux modèles dominants culmine, lors des années 1960, avec les Jeux des Nouvelles Forces émergentes, pensés comme un contre-modèle des Jeux olympiques.
Le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis s’invite également dans les compétitions. En 1958, lors des Jeux olympiques de Mexico, les athlètes noirs Tommie Smith et John Carlos, médaillés d’or et de bronze pour le 200 mètres, lèvent leur poing ganté de noir sur le podium. “Le geste de Smith et Carlos rompt avec l’attitude des athlètes noirs qui avait dominé jusqu’au milieu des années 1960. C’était un mélange d’aspiration à la gloire olympique et d’adhésion à une forme de patriotisme sportif, [avec] l’idée que les Jeux olympiques sont une bonne compétition pour la minorité noire, parce qu’elle produit des modèles et [qu’elle est] la preuve que les Noirs Américains sont, si on leur en donne la possibilité, les égaux des Blancs sur le terrain sportif”, explique l’historien François-René Julliard. Il replace ce geste dans le contexte d’un projet de boycott noir des Jeux olympiques, qui reproche à la compétition de mettre un couvercle sur les inégalités. “Finalement, ce projet de boycott avorte, mais le poing levé de Smith et Carlos en est la continuité. Et ce qui le matérialise, c’est le pin’s que portent à la poitrine Smith, Carlos, et le second, l’Australien Peter Nordmann, qui est le badge du Project for Human Rights, l’organisation qui avait promu le projet de boycott.”
Comment la guerre froide a-t-elle définitivement brouillé les frontières entre sport et politique ?
Pour en savoir plus
Sylvain Dufraisse est maître de conférences en histoire contemporaine à Nantes Université et membre junior de l’Institut universitaire de France.
Il a publié :
- Une histoire sportive de la guerre froide, Nouveau Monde éditions, 2023
- Les Héros du sport, une histoire des champions soviétiques (années 1930-années 1980), Champ Vallon, 2019
François-René Julliard est docteur en histoire contemporaine, ATER à l’université polytechnique des Hauts-de-France, auteur d’une thèse intitulée “‘Cette médaille est pour l’Amérique noire’ – Les athlètes olympiques noirs américains, entre excellence sportive et lutte pour l’égalité (1896-1984)”, sous la direction de Fabien Conord et Caroline Rolland-Diamond à l’Université Clermont Auvergne-Université Paris Nanterre.
Références sonores
- Archive du reporter Raymond Marcillac lors de la première journée d’épreuves aux Jeux olympiques d’Helsinki, RDF, 20 juillet 1952
- Archive de la gymnaste roumaine Nadia Comăneci interrogée lors des Jeux olympiques de Montréal, Inter Actualités, France Inter, 25 juillet 1976
- Archive de Léon Zitrone décrivant Tommie Smith et John Carlos, médaillés d’or et de bronze du 200 mètres aux Jeux olympiques de Mexico, qui lèvent le poing ganté de noir sur le podium, 20 octobre 1968
- Archive des Harlem Globetrotters présentés dans le journal des Actualités françaises, 25 juillet 1962
- Archive sur Mohamed Ali, envoyé spécial du président étasunien Jimmy Carter, Inter Actualités, 1er février 1980
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020