Diffuser une annonce pour un poste imaginaire. Ou maintenir en ligne une offre alors que celle-ci est déjà pourvue depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois… Sur le papier, cela paraît incongru. Dans les faits, c’est pourtant une tactique que d’aucuns assument sans trop se cacher.
L’entreprise américaine Resume Genius, spécialisée dans l’élaboration de CV, s’est ainsi amusée à faire le calcul il y a quelques mois: d’après cette société, 1,7 million d’annonces d’emploi visibles sur Linkedin au moment où sa recherche a été effectuée renvoyaient en réalité à des «ghost jobs». C’est-à-dire des postes que les candidats n’ont absolument aucune chance de décrocher puisqu’ils n’existent pas, ou qu’ils ont disparu. À l’arrivée, perte de temps assurée pour les demandeurs d’emploi!
Une pratique répandue
Une autre plateforme de création de CV en ligne, l’américaine Resume Builder, affirme, au sortir d’un sondage à l’international mené auprès de plus de 1.600 responsables de recrutement, que 39% des entreprises ont eu recours à une offre d’emploi «fantôme» au cours de l’année précédente.
On distingue deux types de «ghost jobs». Ceux oubliés en ligne par un service RH étourdi ou sous-staffé, qui ne pense donc pas à désactiver l’annonce alors que le recrutement est déjà clos. Dans cette situation, la bonne foi se plaide. Surtout qu’avec l’automatisation des tâches, une même annonce peut être diffusée sur plusieurs plateformes en simultané. Ce sont les offres les plus faciles à repérer, à l’écran elles sont généralement accompagnées d’une étiquette «Publié il y a plus de 30 jours», qui doit inciter à un minimum de vigilance.
La seconde catégorie, en revanche, résulte d’un esprit tactique délibéré.
Quelles motivations?
La diffusion de «fausses» annonces peut être un moyen pour les entreprises de maintenir un certain niveau de visibilité en ligne, tout en laissant entendre qu’elles sont ouvertes aux talents extérieurs. C’est bon pour l’image de marque. Dans l’enquête de Resume Builder, 67% des répondants citent cette raison. Ils sont également 66% à indiquer qu’il s’agit d’envoyer le signal d’une entreprise en pleine croissance. Soigner la vitrine, donc…
Plus de la moitié (59%) des cadres sondés par Resume Builder expliquent encore avoir recours aux «ghost jobs» afin de collecter un maximum de CV en vue… d’embauches futures. Ce que les recruteurs appellent un «vivier» de candidats, toujours utile lorsqu’un poste se libère et qu’il faut trouver la perle rare. Avec cette lecture, les «ghost jobs» s’apparentent à une arme mise à disposition des employeurs dans cette «guerre des talents» devenue leur quotidien.
Message en interne
Il ressort de l’enquête de Resume Builder que les «ghost jobs» peuvent aussi être utilisés avec des visées internes. Par exemple pour mettre un coup de pression aux collaborateurs déjà en place, et leur suggérer par ce biais que leur job, précisément, n’est pas irremplaçable. 62% des répondants mentionnent cette raison. Et ils sont 63% à indiquer que c’est aussi un moyen de faire croire aux équipes qui se plaindraient d’une surcharge de travail que l’entreprise s’efforce de faire le nécessaire en se mettant en quête de renforts. «Voyez par vous-même sur Lindedin, on cherche quelqu’un»…
Cynique, pensez-vous? Au contraire! Pour 43% des responsables de recrutement, la publication de fausses annonces serait moralement acceptable.
Quelles parades?
«En tant qu’acteur local et attentif à l’intégrité de son contenu, Jobs.lu prend des mesures pour éviter que ce type de pratiques ne se produise sur notre plateforme. Nous pensons que ce phénomène est relativement limité dans le pays, mais nous restons attentifs et engageons un suivi régulier pour préserver la transparence de notre site et maintenir la confiance de notre communauté», nous explique-t-on du côté de la plateforme luxembourgeoise.
«Pour garantir aux candidats que les annonces renvoient à des opportunités d’emploi réelles, nous appliquons un processus rigoureux de validation», indique la manager marketing, Hannah Arnoldy. «Cela inclut la vérification de l’identité des recruteurs et la validation de chaque annonce avant sa mise en ligne, en accord avec nos standards de qualité. Nous collaborons également étroitement avec nos clients pour garantir que les offres reflètent des postes réellement ouverts, ce qui contribue à maintenir la confiance des candidats dans les opportunités proposées sur notre site. Enfin, nous restons vigilants aux retours des utilisateurs, qui nous permettent d’intervenir rapidement en cas de signalement.»
Du côté de l’Adem, qui évoque un total d’environ 7.500 postes vacants, on table sur cette même proximité pour «sécuriser» les annonces proposées aux demandeurs d’emploi. «Nous contrôlons si l’entreprise qui nous déclare ses offres est bien légalement établie au Luxembourg. Aussi, la majorité des entreprises est en contact avec nos conseillers employeurs qui échangent ensemble sur les besoins réels en recrutement: critères de sélection, description des postes, besoins en formation, etc. Et c’est ça qui fait notre plus-value», répond le service communication.
«Les entreprises qui publient des ‘ghost jobs’ risquent de sérieuses répercussions sur leur image et leur réputation», conclut Hannah Arnoldy, chez Jobs.lu. «En agissant ainsi, elles s’exposent à un manque de crédibilité aux yeux des candidats, qui peuvent percevoir cette pratique comme trompeuse ou peu éthique. Cela peut également générer de la frustration et un sentiment de méfiance qui nuisent à l’attractivité de l’entreprise en tant qu’employeur. À long terme, cela pourrait réduire la capacité de l’entreprise à attirer des talents et affecter négativement sa marque employeur. La transparence est cruciale dans le recrutement.»