France: Beijing’s Global Media Influence 2022 Country Report | Freedom House

France: Beijing’s Global Media Influence 2022 Country Report | Freedom House

Le présent rapport a été réalisé dans le cadre du projet de Freedom House consacré à l’influence de Pékin sur les médias à travers le monde (2022). Cette étude révèle que le Parti communiste chinois a redoublé d’efforts depuis 2019 pour influencer les flux d’informations internationaux, en faisant appel à des tactiques plus sophistiquées de dissimulation et de coercition. Des journalistes, des organisations de la société civile et certains gouvernements réagissent toutefois à ces campagnes, ce qui en atténue les effets. La méthodologie et les conclusions du rapport complet sont disponibles en anglais, en espagnol et en chinois. Le présent document propose une étude de cas approfondie de la situation en France.

 

Efforts d’influence de Pékin sur les médias

Importants

36 / 85

Résilience et riposte des acteurs locaux

Très importantes

63 / 85

Statut

Résilient

 

 

Principaux constats

  • Une intensification des efforts d’influence: Au cours de la période examinée (2019-2021), Pékin a redoublé d’efforts pour influencer les médias en France. Des diplomates chinois et des influenceurs affiliés à l’État ont tenté d’orienter le récit médiatique de la pandémie de COVID-19, en critiquant les mesures prises par la France face à la crise sanitaire ou en fustigeant les commentateurs et journalistes français, mais aussi en relayant la propagande pro-chinoise sur les réseaux sociaux.
  • Un impact limité sur l’opinion publique: Malgré ces efforts d’influence accrus et la présence physique incontournable des médias d’État chinois publiant des contenus en français, la propagande de Pékin a surtout incité les élites politiques et médiatiques à enquêter sur les activités du gouvernement chinois et à les dévoiler au grand jour. La stratégie diplomatique du « loup guerrier » adoptée par le gouvernement chinois sur les réseaux sociaux, bien illustrée par l’agressivité de l’ambassadeur de Chine à Paris Lu Shaye, a produit l’effet inverse de celui recherché, déclenchant en France un débat public sur l’influence du Parti communiste chinois dans les médias et dans d’autres secteurs et poussant le gouvernement français à prendre publiquement la défense des personnes incriminées. Des sondages révèlent d’ailleurs une hausse des opinions défavorables à l’égard du gouvernement chinois (voir la partie « Impact sur l’opinion publique »).
  • Comptes officiels sur les réseaux sociaux: Les réseaux sociaux sont l’un des moyens utilisés pour imposer directement la propagande chinoise dans les discours français. Il apparaît toutefois que les comptes des médias d’État chinois dopent artificiellement leur audience avec de faux abonnés. Plusieurs influenceurs des réseaux sociaux, pour certains journalistes de China Global Television Network Français ou affiliés aux médias d’État chinois, comptent des centaines de milliers d’abonnés sur Facebook (voir la partie « Propagande »).
  • Contenus sponsorisés dans les médias français: L’une des principales stratégies de diffusion utilisée par les médias d’État chinois consiste à payer des publireportages dans des médias locaux. Au cours de la période considérée, d’importants organes de presse de tous horizons politiques ont ainsi publié des articles sponsorisés par les médias d’État, notamment L’Opinion, Le Figaro, Jeune Afrique, Le Parisien, Le Monde ou encore Les Échos. La chaîne de télévision TV5 Monde a conclu depuis 2014 un accord de promotion de contenus avec China Central Television (CCTV) et est par ailleurs membre du réseau d’informations Belt and Road News Network (voir la partie « Propagande »).
  • Désinformation généralisée: Les autorités chinoises se sont servies de leur présence en ligne pour colporter des mensonges et des théories conspirationnistes, et parfois partager des informations mises en ligne par de faux comptes (voir les parties « Propagande » et « Campagnes de désinformation »).
  • Tentatives de censure à l’égard des médias français: L’ambassade de Chine, qui jusque-là s’en tenait à faire doucement pression sur les médias pour qu’ils censurent les sujets jugés fâcheux, s’est mise à harceler et agresser ouvertement des journalistes et des commentateurs français sur internet, notamment par des campagnes de trolling. Les principaux médias français sont pour la plupart interdits en Chine. Des journalistes basés en France et des correspondants régionaux travaillant sur la Chine sont victimes de harcèlement physique et en ligne (voir la partie « Censure et intimidation »).
  • Influence prédominante sur les médias de la diaspora chinoise en France et en Europe: Les médias sinophones disponibles en France sont dominés par des organes pro-Pékin travaillant en collaboration avec les départements chinois de propagande, à l’exception de la station de radio publique Radio France internationale, qui diffuse des émissions en mandarin sur des sujets français, chinois et internationaux.La France accueille le siège de nombreux médias sinophones pro-Pékin distribués dans d’autres pays d’Europe. Le quotidien Nouvelles d’Europe (欧洲时报), plus ancien groupe de presse en langue chinoise de France, appartient à une société contrôlée par le Département du travail du Front uni du Parti communiste chinois (voir la partie « Médias destinés à la diaspora chinoise »).
  • Résistance des médias français: Si plusieurs médias français publient ou ont publié des encarts payés par les médias d’État chinois, la plupart mentionnent clairement l’origine de ces contenus et certains ont mis fin à ces contrats, probablement parce que cela nuisait à leur réputation. Les médias grand public français continuent de mener des enquêtes journalistiques approfondies, indépendantes et critiques sur des questions en lien avec la Chine en France et dans le monde, et produisent notamment des reportages réalisés par des correspondants basés en Asie, qu’ils diffusent également en Afrique et au Moyen-Orient (voir la partie « Résilience et riposte »).
  • Prise de conscience de l’influence du Parti communiste chinois par le gouvernement: Au cours de la période considérée, le gouvernement français s’est distingué en convoquant à deux reprises l’ambassadeur de Chine en raison des menaces et des attaques publiques exprimées par lui ou par l’ambassade contre des médias, des parlementaires et des commentateurs français (voir la partie « Résilience et riposte »).
  • Vides juridiques et réglementaires et nécessité d’une vigilance accrue de la part de la société civile: La France n’est dotée d’aucune loi permettant de limiter les procès contre des reportages consacrés à la Chine ou à d’autres sujets d’intérêt public. En mars 2019, l’entreprise chinoise Huawei, étroitement liée au Parti communiste chinois et connue pour avoir conçu des systèmes de censure et de surveillance en Chine et à l’étranger, a porté plainte pour diffamation contre une chercheuse en raison de ses propos concernant la société. Aucune organisation de la société civile n’a entrepris de surveiller et de dénoncer toutes les campagnes de désinformation de l’État chinois, sa présence sur les réseaux sociaux ou ses opérations d’influence en France ; ces recherches sont donc effectuées au coup par coup par des journalistes ou des chercheurs (voir la partie « Résilience et riposte »).

 

Préambule

Le système politique français se caractérise par des mécanismes démocratiques dynamiques et une protection généralement efficace des libertés civiles et des droits politiques. La France est classée parmi les pays « libres » dans la dernière édition du rapport annuel de Freedom House Freedom in the World 2022 sur les droits politiques et les libertés civiles, ainsi que dans Freedom on the Net 2021, dernière édition du rapport annuel de l’organisation consacré à la liberté sur internet. Les médias peuvent généralement travailler librement et représentent un large éventail d’opinions politiques.

La France et la République populaire de Chine (RPC) entretiennent des relations diplomatiques depuis le 27 janvier 1964. Ces relations sont globalement amicales depuis des dizaines d’années, bien que la France s’exprime régulièrement sur la question des droits humains en Chine, ce qui a singulièrement attisé les tensions en 2008. La France est membre de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, dirigée par la RPC, et le câble sous-marin « Pakistan and East Africa Connecting Europe » (PEACE), réalisé dans le cadre du projet de « route de la soie numérique » de la Belt and Road Initiative, atterrit en France. Les élites politiques et économiques françaises travaillent en bonne intelligence avec leurs homologues chinois, et certaines personnalités haut placées comme l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin cultivent des liens très étroits avec les dirigeants du Parti communiste chinois (PCC). La France est favorable à ce que l’Union européenne (UE) se positionne sur les questions liées à la Chine, mais se montre généralement plus modérée que les pays occidentaux anglophones dans son approche des relations bilatérales. C’est l’un des deux seuls pays européens à avoir pris part aux opérations menées pour défendre la liberté de navigation en mer de Chine du Sud. En mars 2021, la France s’est accordée avec les autres États membres de l’UE pour sanctionner quatre responsables chinois accusés d’avoir commis des violations des droits humains dans le Xinjiang ; il s’agissait des premières sanctions européennes imposées à des dirigeants chinois depuis le massacre de Tian’anmen en 1989. Le gouvernement chinois a répliqué en prenant des sanctions contre plusieurs personnalités politiques européennes, parmi lesquelles Raphaël Glucksmann, membre français du Parlement européen. En mai 2021, le Sénat a adopté une résolution approuvant la participation de Taïwan aux travaux de plusieurs institutions multilatérales, et en janvier 2022, l’Assemblée nationale a reconnu le caractère génocidaire des violences commises contre les Ouïghours par le gouvernement chinois.

La communauté chinoise en France regroupe environ 540 000 expatriés et membres de la diaspora, soit près de 1 % de l’ensemble de la population française ; elle est considérée comme l’une des plus importantes et des plus anciennes d’Europe. Les premiers immigrants ont pour la plupart gardé la nationalité chinoise, mais les plus jeunes sont des citoyens français. Depuis 2016, une vague d’agressions et de vols racistes ciblant des personnes d’origine chinoise et la mort d’un Chinois tué par la police ont amené l’ambassade de Chine à communiquer davantage sur les problèmes de sécurité, notamment pour sensibiliser les ressortissants français d’origine chinoise. Aujourd’hui, l’ambassade propose même de financer certaines associations franco-chinoises dirigées par des personnes issues de la diaspora. La Chine est en outre le premier pourvoyeur d’étudiants internationaux accueillis en France, avec environ 47 000 étudiants. Selon les médias français, la France hébergerait par ailleurs 500 à 1 000 Ouïghours, soit l’une des plus grandes communautés ouïghoures d’Europe après la Turquie, l’Allemagne et la Belgique. De petites communautés de réfugiés tibétains et d’adeptes du Falun Gong sont également établies à Paris ainsi que dans d’autres villes.

Les efforts d’influence de Pékin sur les médias

Propagande et promotion des récits privilégiés

Principaux récits

Pendant des années, les médias d’État et les diplomates chinois présents en France se sont attachés à donner une image positive de la Chine et du PCC, en vantant notamment les atouts économiques que représente le pays pour la France et l’Europe, conformément à la stratégie à long terme du PCC consistant à « bien raconter l’histoire de la Chine ». À partir de 2020, cependant, la propagande chinoise en France prend une tournure plus agressive. Les autorités et les médias d’État tentent de créer des connexions avec la France ou de faire appel à des commentateurs français pour donner à leur propagande une apparence de crédibilité. Dans de nombreux cas, ils vont jusqu’à colporter des mensonges éhontés, suscitant alors un intérêt accru de la part des médias et des commentateurs français.

Des acteurs affiliés à l’État chinois reprennent la rhétorique de l’efficacité des mesures prises par la Chine contre la pandémie de COVID-19 et saluent le rôle de « partenaire indispensable » joué par le pays. L’offensive devient toutefois plus virulente en avril 2020, lorsque l’ambassade de Chine étrille la gestion de la crise sanitaire par la France et accuse le personnel soignant des établissements pour personnes âgées d’avoir « abandonné leur poste du jour au lendemain […], laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie » dans une série de cinq articles anonymes publiés sur son site internet. Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France, est alors convoqué au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Les articles font également l’objet d’une large couverture médiatique et sont vivement critiqués en France. Le gouvernement chinois change alors de discours pour dénoncer les allégations selon lesquelles la Chine aurait minimisé la gravité de l’épidémie survenue à Wuhan, puis diffuse de fausses informations sur les origines du nouveau coronavirus, niant que celui-ci est apparu en Chine et soutenant que l’épidémie aurait en fait débuté en Europe ou aux États-Unis.

En 2021, les médias d’État se mettent à intensifier leur campagne de propagande mondiale en direction de la France, et tentent de justifier les politiques menées dans la région ouïghoure du Xinjiang, théâtre d’atrocités ciblant les Ouïghours et d’autres minorités musulmanes, en invoquant des mesures de lutte antiterroriste, et en dressant au passage le portrait d’un « Xinjiang magnifique et prospère ». Leur objectif consiste à utiliser des influenceurs étrangers, réels ou imaginaires, comme relais de la propagande d’État chinoise. En mars 2021, le Quotidien du peuple, organe de presse du PCC, et plus tard le ministre chinois des Affaires étrangères font l’éloge de l’ouvrage Ouïghours, pour en finir avec les fake news, écrit par un ergonome français à la retraite prétendant « réfuter » les fausses informations des journalistes occidentaux. Le même mois, le média d’État chinois China Global Television Network (CGTN) publie un article d’une certaine « Laurène Beaumond », mystérieuse journaliste française qui aurait vécu sept ans en Chine et visité le Xinjiang à plusieurs reprises. Celle qui affirme vouloir dépeindre « [son] Xinjiang » y exprime une approbation élogieuse des politiques menées par le gouvernement chinois et contredit totalement les témoignages faisant état de violations des droits humains, des récits qui selon elle proviendraient d’« individus qui n’ont jamais mis le pied dans cette région du monde ». Le nom « Laurène Beaumond » se révèlera plus tard être un pseudonyme utilisé par une ancienne présentatrice française de CCTV. Depuis, ce pseudonyme n’a plus jamais été employé pour signer d’autres articles.

D’autres informations mensongères ou trompeuses, rédigées en français, sont diffusées directement par les diplomates chinois ou par l’ambassade afin de défendre les mesures prises par le PCC contre la pandémie de COVID-19, les atrocités commises dans le Xinjiang et les atteintes aux libertés observées à Hong Kong. Les médias d’État servent ensuite de caisse de résonance à ces contenus diplomatiques. Dès mars 2020, l’ambassade de Chine en France se lance dans une campagne de désinformation sur l’origine de la pandémie et insinue que le virus serait apparu aux États-Unis. En avril, l’ambassade prétend que les autorités taïwanaises, soutenues par des parlementaires français, ont tenu des propos racistes à l’égard du Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, soulevant l’indignation des élites politiques et des médias français. L’article original semble avoir été supprimé, mais une déclaration du porte-parole de l’ambassade défendant ces allégations accuse la presse française de déformer les faits et de dénigrer la Chine, et affirme devoir faire ces clarifications « pour éviter que les populations françaises soient désorientées par ces médias ».

Dans une interview de mars 2020 accordée à une chaîne de télévision chinoise, l’ambassadeur de Chine Lu Shaye accuse également les médias français d’avoir recours à la « propagande » pour infliger un « lavage de cerveau » à l’opinion publique occidentale. Le compte Twitter de l’ambassade de Chine partage aussi un lien vers le fameux article de CGTN signé par Laurène Beaumond, mais cette publication n’est retweetée que six fois, signe d’un intérêt très limité pour ce type de comptes en France. La directrice de l’édition française du Quotidien du peuple en ligne, He Qian, tweete ou retweete souvent de fausses informations fabriquées par la Chine sur le Xinjiang.

Les discours qui trouvent un certain écho en France sont ceux qui s’en prennent aux États-Unis. Cela témoigne moins d’un soutien à la Chine que d’une adhésion de longue date au rejet de l’hégémonie américaine, en particulier au sein de l’extrême gauche française. L’ambassade de Chine reproche par ailleurs à certains médias français dénonçant les violations des droits humains commises par Pékin de faire preuve de racisme anti-chinois, en particulier depuis l’explosion du mouvement contre la haine anti-asiatique Stop Anti-Asian Hate qui a suivi l’apparition de la pandémie de COVID-19. Les campagnes dénonçant l’utilisation d’images ou de termes jugés racistes envers les Chinois et les Asiatiques sont manipulées par le PCC. Les autorités et les médias d’État chinois s’en servent en effet pour détourner l’attention des atteintes aux droits humains.

Principaux canaux de diffusion

Les médias d’État chinois sont disponibles en français et certains organes de presse sont bien implantés dans le pays. CGTN Français est diffusé sur les chaînes de télévision locales et la plupart des médias d’État possèdent un site internet en langue française, malgré une faible consommation de ce type de contenus en France. Quasiment tous les principaux médias d’État, même les petits journaux provinciaux ou municipaux contrôlés par l’État et les médias pro-Pékin de Hong Kong, disposent de bureaux ou de correspondants qui leur assurent une présence physique en France. Radio Chine internationale propose également des programmes en français, quoique ces émissions ciblent surtout l’Afrique francophone. Une maison d’édition française présentant des liens étroits avec le gouvernement chinois publie en outre la revue mensuelle Dialogue Chine-France. Il est difficile de mesurer précisément l’audience de ces différents médias.

Près de 70 % des Français suivent l’actualité à la télévision ou en ligne, sur les sites internet de la presse écrite ou les réseaux sociaux. Près de 40 % des utilisateurs de réseaux sociaux s’informent sur Facebook. CGTN Français, Le Quotidien du peuple, Radio Chine internationale (CRI) et la version française du site china.org.cn comptent chacun des millions d’abonnés sur Facebook. Leurs comptes s’adressent aux francophones du monde entier, essentiellement en France, mais aussi en Afrique, au Moyen-Orient et au Canada. Des études menées par des organisations de la société civile et des médias français ont conclu que ces chiffres étaient vraisemblablement gonflés par de faux abonnés, au vu des interactions très limitées et du faible trafic générés par ces pages. Une comparaison du trafic enregistré sur les sites internet des principaux sites d’information français et ceux des médias d’État chinois en langue française révèle en effet des disparités frappantes, indicatrices de la probable inauthenticité des comptes de réseaux sociaux des médias d’État chinois. Le compte du Monde, par exemple, affichait 85 à 140 millions de visites par mois, quand le trafic induit par CGTN Français oscillait entre 250 000 et un unique pic de 1,5 million de visites. Malgré son classement à la quatrième place mondiale des pages francophones les plus suivies, CGTN Français ne comptabilisait que très peu de vues et de commentaires. L’étude avançait que l’une des raisons expliquant ce faible niveau d’interaction, en dehors des faux abonnés, était le manque de contenus susceptible d’intéresser les internautes français. CGTN Français n’a acheté que deux annonces publicitaires à destination des utilisateurs français de Facebook au cours de la période étudiée, ce qui tend à confirmer que la page ne cible pas vraiment ce public.

En pratique, pour atteindre les internautes français, les médias d’État chinois s’appuient surtout sur les comptes de réseaux sociaux des représentants diplomatiques, sur des encarts payés par l’ambassade de Chine dans les médias locaux et sur la reprise d’éléments de langage pro-Pékin par des leaders d’opinion français.

Diplomatie du « loup guerrier » et communication de l’ambassade: Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France depuis 2019, illustre parfaitement la diplomatie agressive du « loup guerrier » adoptée par la Chine à l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping et intensifiée lors de la campagne de propagande menée par l’État en réaction à la pandémie de coronavirus. Depuis que Lu Shaye occupe ce poste, l’ambassade s’en est prise à des chercheurs, à des parlementaires et à des journalistes français qu’elle a insultés ou traités de menteurs sur Twitter, et a également propagé de fausses informations sur l’origine de la pandémie. Contrairement à l’effet recherché, ces procédés ont attiré l’attention des Français sur les tactiques d’influence et les récits de propagande utilisés par la Chine. La stratégie du « loup guerrier » est souvent employée pour tenter de dissuader les autres pays de critiquer l’action du gouvernement chinois ou pour montrer à leur population que les diplomates prennent la défense de la Chine.

L’ambassade de Chine à Paris possède un compte Twitter (@AmbassadeChine) suivi par 39 000 personnes, ainsi qu’un compte Facebook (AmbassadeChine) rassemblant 18 000 abonnés. Les consulats de Chine à Lyon et à Strasbourg disposent également de comptes Twitter, qui atteignent respectivement 2 100 et 1 900 abonnés. Une enquête conjointe de l’Oxford Internet Institute et de l’Associated Press (AP) révèle que 12 à 14 % des retweets obtenus par les comptes de l’ambassade et des consulats sur une période de sept mois (entre juin 2020 et février 2021) provenaient de faux comptes ultérieurement suspendus par Twitter.

Depuis début 2020, les contenus publiés par l’ambassade sont régulièrement devenus viraux en raison de leur caractère hostile et provocateur. L’ambassade a mis en ligne des vidéos de propagande en langue française dénonçant les attaques contre la Chine, des publications qui attirent généralement plus de polémiques que de « likes ». Fin 2021, l’ambassade de Chine en France a également posté une vidéo de propagande diabolisant les États-Unis à l’occasion d’un sommet mondial sur la démocratie, asseyant ainsi sa réputation de pugnacité en matière de relations diplomatiques.

Au cours de la période considérée, l’ambassadeur Lu Shaye s’est exprimé dans au moins deux tribunes parues dans les médias français, le 1er décembre 2019 et le 30 juillet 2021, les deux fois dans le journal L’Opinion. Il est aussi arrivé que ses propos soient repris dans les médias locaux. Il a participé à des entretiens publiés par L’Opinion le 29 avril 2020 et le 17 juin 2021, et a été interviewé par la chaîne de télévision France 24. Durant la première vague de la pandémie de coronavirus, il a accordé quatre interviews à BFM TV entre février et avril 2020 pour défendre la stratégie adoptée par la Chine contre la COVID-19.

Montée en puissance des influenceurs affiliés à l’État sur les réseaux sociaux: S’il apparaît que les comptes officiels des médias d’État suscitent un engagement relativement limité, les influenceurs affiliés à l’État chinois ou faisant passer des messages pro-Pékin semblent quant à eux en plein essor. Un rapport d’octobre 2020 a révélé que plusieurs jeunes influenceuses chinoises gagnaient en popularité sur leurs pages en langue française. Au moment où nous écrivons ces lignes, les neuf pages Facebook concernées sont toujours actives et comptent entre 10 000 et 1,1 million d’abonnés ; six d’entre elles dépassent les 100 000 abonnés. Tous ces comptes mentionnent leur affiliation à des médias d’État chinois, lesquels, bien souvent, emploient les jeunes femmes en question ou assurent leur promotion. La plupart des publications, axées sur la culture et l’art de vivre, cherchent à présenter la Chine sous un jour inoffensif et sympathique, mais il arrive aussi que ces comptes partagent des articles parus dans les médias d’État, voire qu’ils tombent dans la promotion d’informations fausses ou trompeuses sur la pandémie de COVID-19 ou relaient la propagande en faveur de la société chinoise Huawei. De son côté, le gouvernement chinois mise de plus en plus sur des influenceurs étrangers installés en Chine pour masquer sa propagande, en particulier concernant les violations des droits humains commises dans le Xinjiang ou l’origine de la pandémie de COVID-19. Les commentateurs se montrent rarement transparents quant au soutien qu’ils reçoivent du gouvernement chinois lorsque celui-ci autorise des reporters indépendants à accéder à des zones interdites, qu’il donne de la visibilité à leurs publications sur les comptes de réseaux sociaux des médias d’État et des diplomates, ou, dans certains cas, qu’il leur offre l’hôtel ou les rétribue. Certains Youtubeurs connus travaillent pour les médias d’État chinois, mais ces partenariats ne sont pas mentionnés sur leurs comptes, de sorte que leurs liens avec les services de propagande de l’État ne sont pas clairs.

Contenu sponsorisé ou échange de sujets d’actualités dans les médias français: Les médias d’État chinois ont conclu des accords de coopération avec la presse écrite et audiovisuelle en France, mais l’on ignore dans quelle mesure certains de ces contrats sont toujours d’actualité. Les contenus des médias d’État chinois prennent généralement la forme d’encarts publicitaires payants dans les médias français. Depuis 2019, L’Opinion, Le Figaro, Jeune Afrique Le Parisien, Le Monde et Les Échos ont tous publié au moins un encart publicitaire payé par un organe de presse contrôlé par l’État chinois, une pratique d’ailleurs relativement courante pour Jeune Afrique et L’Opinion. Le quotidien de centre droit Le Figaro, qui est le plus ancien titre national de la presse française, mais aussi le plus vendu dans le pays avec 347 000 lecteurs, a inséré dans ses pages le supplément « China Watch » du China Daily jusqu’en 2020 et continue de reprendre régulièrement des dépêches de l’agence de presse Xinhua. La plupart des articles de Xinhua diffusés par Le Figaro traitent de l’actualité économique, culturelle, environnementale et scientifique franco-chinoise, et à la fin de chaque article figure la mention suivante : « Contenu conçu et proposé par Xinhua News. La rédaction du Figaro n’a pas participé à la réalisation de cet article ». Jeune Afrique, hebdomadaire en langue française consacré à l’actualité africaine, dont la rédaction est basée en France et dont le tirage s’élève à environ 53 000 exemplaires, publie parfois des articles rédigés par Le Quotidien du peuple, essentiellement au sujet des relations entre la Chine et l’Afrique. Si ce contenu apparaît clairement comme étant « proposé par People’s Daily Online » (Le Quotidien du peuple en ligne), le site présente en revanche ce média comme « le plus grand journal de Chine » sans préciser qu’il s’agit de l’organe de presse du PCC.

Ce système de contenu sponsorisé a été utilisé pour d’importantes campagnes mondiales de propagande du PCC. Le Quotidien du peuple s’est ainsi targué d’avoir réussi à placer des encarts publicitaires sur la campagne de lutte contre la pauvreté menée par Xi Jinping dans des journaux du monde entier entre le 5 et le 11 mars 2021, durant le congrès annuel des assemblées chinoises. Le journal s’est félicité d’avoir diffusé plus de 750 articles en 12 langues dans près de 200 médias étrangers de plus de 40 pays. Deux de ces « publi-communiqués » ont paru dans L’Opinion, un quotidien français libéral, pro-business et pro-européen. Le montant payé par Le Quotidien du peuple pour cette publicité n’est pas connu, mais une pleine page comme celle-ci dans ce journal coûte habituellement entre 18 000 et 30 000 euros.

La chaîne de télévision TV5 Monde est membre du réseau d’informations Belt and Road News Network et a conclu en 2014 un « accord de promotion de contenus » avec CCTV. L’agence Xinhua et l’Agence France-Presse (AFP) sont liées depuis 1957 par un accord d’échange (semblable à des dizaines d’autres accords de partenariat conclus par l’AFP), et ont convenu en décembre 2018 de renforcer leur coopération dans les domaines de la vidéo et des nouveaux médias. Les dépêches de Xinhua sont en effet susceptibles d’intéresser davantage certains médias que celles proposées par l’AFP. Dans une interview de 2019, l’ancien directeur d’un groupe de médias français s’est exprimé anonymement à ce sujet : « Au début, la copie destinée aux étrangers était de mauvaise qualité. Pour améliorer le niveau, ils se sont servis dans le vivier de journalistes au chômage. Aujourd’hui, les salles de rédaction de CCTV ou de Xinhua sont remplies d’Occidentaux très bien payés. La stratégie commerciale est très agressive, avec des prix très bas ».

BFM Business (propriété du groupe Altice), dont la chaîne d’information en continu BFM TV est la première chaîne française d’information, publie des contenus produits par Radio Chine internationale (CRI). Depuis le deuxième semestre 2021, ceux-ci affichent la mention « La rédaction de BFM Business n’a pas participé à la réalisation de ce contenu », mais cette information n’était pas précisée auparavant. BFM Business diffuse également une courte émission télévisée quotidienne appelée « Chine Éco », produite en partie par CRI, et qui traite de sujets économiques et de l’intérêt d’investir en Chine. Selon l’ancien directeur de la rédaction en poste lors de la signature du contrat de partenariat, CRI a proposé à la chaîne de sponsoriser un programme consistant à « parle[r] du business » en Chine, à condition de garder le contrôle du contenu.

Adoption des discours des médias d’État chinois par les leaders d’opinion français: Certains responsables politiques et universitaires français connus pour leurs relations plutôt amicales avec Pékin reprennent la rhétorique du PCC et sont parfois cités dans les médias d’État chinois, qui donnent ainsi l’impression que la France soutient les positions du gouvernement chinois. Les messages pro-Pékin parviennent à percer dans les médias grand public français à travers les déclarations de personnalités politiques ou culturelles complaisantes répétant les discours de Pékin. Le député et candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon a par exemple affirmé dans un entretien avec BFM TV le 19 octobre 2021 que « les Chinois n’ont pas l’intention d’envahir Taïwan, mais si Taïwan se déclare indépendant, alors il est possible que la Chine, à juste titre, trouve qu’une ligne rouge a été franchie ». L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, que Xi Jinping a qualifié d’« ami de la Chine » en 2019, a soutenu la Belt and Road Initiative et paraphrase régulièrement des éléments de propagande du PCC, utilisant notamment des termes comme « communauté de destin de l’humanité » dans le domaine des relations internationales. Toutefois, ces propos sont davantage rapportés dans les médias d’État chinois que dans les médias grand public français, et la proximité de Jean-Pierre Raffarin avec les autorités chinoises a fait l’objet de plusieurs enquêtes dans la presse française.

Les médias d’État chinois ont bien compris l’intérêt d’avoir une présence au cœur de Paris et de monter en épingle le soutien supposé des élites locales. En décembre 2019, CGTN a organisé le lancement d’une nouvelle série de documentaires sur la Chine dans le prestigieux Carrousel du Louvre à Paris, un événement auquel ont assisté l’ancien porte-parole du gouvernement Jean-François Copé et d’autres invités illustres du milieu de l’art, de la télévision et des relations franco-chinoises.

Campagnes de désinformation

Au cours de la période considérée (de janvier 2019 à décembre 2021), au moins deux campagnes de désinformation ont touché de nouveaux publics en France. Le présent rapport utilise le terme « désinformation » au sens d’une diffusion délibérée de contenus faux ou trompeurs, en particulier au moyen d’une activité factice sur les plateformes mondiales de réseaux sociaux (faux comptes, par exemple). En juin 2020, l’UE a accusé le gouvernement chinois d’avoir lancé « des opérations d’influence et des campagnes de désinformation ciblées » en Europe et dans le reste du monde (comme nous l’avons vu dans la partie « Propagande »). S’il n’y a guère de raisons de croire que des réseaux de faux comptes affiliés à l’État chinois propageraient des informations mensongères ou trompeuses sur des questions de politique intérieure, on observe en revanche que les médias d’État chinois amplifient les débats sur le racisme anti-asiatique ou les manifestations des Gilets jaunes afin de semer la discorde au sein de la population locale.

Une étude du centre de recherche Graphika datant de février 2021 révèle que le compte Twitter de l’ambassade de Chine en France a relayé des publications d’un faux compte appartenant à un réseau appelé « Spamouflage ». Ces interactions ont marqué un début d’ouverture pour le réseau qui a alors commencé à sortir de sa « chambre d’écho », c’est-à-dire à ne plus être retweeté uniquement par d’autres faux comptes membres du réseau. L’ambassade de Chine en France a ainsi retweeté 18 fois le compte d’une certaine « He Jingrun » et cité neuf de ses tweets. Certains des messages en question semblaient inoffensifs, notamment une vidéo sur les techniques de réfrigération utilisées en Mongolie, partagée avec des sous-titres traduits en français. Le compte de He Jingrun a lui-même partagé ou commenté à plusieurs reprises des publications de l’ambassade. Selon les chercheurs, rien ne prouve que les diplomates savaient qu’ils donnaient de la visibilité à de faux comptes. Une enquête conjointe de l’Oxford Internet Institute et de l’AP révèle que 12 à 14 % des retweets obtenus par les comptes Twitter de l’ambassade et des consulats sur une période de sept mois (en 2020-2021) provenaient de faux comptes ultérieurement suspendus par Twitter.

Censure et intimidation

Les journalistes et les médias français présents en Chine se heurtent à la censure et au harcèlement. En France, l’ambassade de Chine, qui jusque-là s’en tenait à faire doucement pression sur les médias pour qu’ils censurent les sujets jugés fâcheux, s’est mise à attaquer ouvertement des journalistes en raison de leurs reportages. Ainsi, le 24 octobre 2021, l’institution a mis en ligne sur Twitter et sur son site internet plusieurs messages ciblant le journaliste du Figaro Sébastien Falletti après la publication d’un article dans lequel celui-ci se demandait si la question taïwanaise pouvait déclencher une Troisième Guerre mondiale. Selon le site internet de l’ambassade, les articles de Falletti « sont bouffis de mensonges et de divagations et induisent gravement en erreur le public ». En décembre 2018, l’ambassade avait déjà tenté de faire déprogrammer la diffusion du documentaire « Le Monde selon Xi Jinping » prévue sur Arte.tv en contactant en privé la chaîne et le ministère français des Affaires étrangères, en vain, car la chaîne avait diffusé le documentaire malgré les pressions subies. Le consul général de Chine à Strasbourg, ville où se situe le siège d’Arte, a également cherché à rencontrer la direction de la chaîne franco-allemande le lendemain de la diffusion.

Les sites internet des grands médias français que sont Le Monde, Libération ou Radio France internationale sont bloqués depuis plusieurs années en Chine, en raison de leurs reportages souvent incisifs envers le gouvernement chinois. Le site du Monde a pour sa part été bloqué en 2014 à la suite de la publication de l’enquête « Offshore Leaks » sur l’argent caché des hauts responsables chinois. En 2015, la journaliste française Ursula Gauthier a été expulsée de Chine pour avoir pointé du doigt les politiques menées par Pékin à l’encontre des Ouïghours dans le Xinjiang. D’autres journalistes français ont également été victimes de harcèlement pour avoir tenté de couvrir certains sujets en Chine. Le 20 octobre 2021, la police chinoise a ainsi empêché le correspondant de France 2 Arnauld Miguet de tourner un reportage sur les préparatifs des Jeux olympiques d’hiver de Pékin 2022 dans le district de Chongli (province du Hebei).

Rien n’indique que des journalistes établis en France aient été victimes d’agressions physiques, que des patrons de presse aient supprimé des reportages jugés trop sévères à l’égard de la Chine ou que des annonceurs aient refusé ou arrêté de diffuser des publicités en fonction des sujets traités. Des journalistes et des commentateurs locaux critiques à l’égard du gouvernement chinois ont toutefois signalé avoir été intimidés ou agressés verbalement en ligne par des trolls défendant le PCC. Ainsi, en mars 2021, l’ambassadeur de Chine a insulté sur Twitter le chercheur français Antoine Bondaz, le traitant de « petite frappe » et de « hyène folle » en raison de ses commentaires sur la plateforme. Ces insultes ont fait l’objet d’une condamnation quasi unanime et ont valu à l’ambassadeur Lu Shaye d’être convoqué pour la deuxième fois au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

En mars 2019, Huawei, puissant acteur proche de l’État chinois, a porté plainte pour diffamation contre la chercheuse Valérie Niquet qui avait affirmé à la télévision que la société était « directement sous le contrôle de l’État et du Parti communiste chinois ». Ces propos ont été tenus sur le plateau de l’émission de France 5 « C dans l’air » le 7 février 2019, mais la chercheuse avait déjà fait d’autres remarques du même ordre quelques jours plus tôt sur TF1. Huawei aurait également engagé des poursuites contre la présentatrice et la société de production de l’émission. Le 7 juilllet 2022, Huawei s’est finalement désisté de la procédure.

Contrôle des infrastructures de diffusion

Les entreprises chinoises ne contrôlent aucune infrastructure française de télévision numérique ou par câble. TikTok, réseau social du groupe ByteDance domicilié à Pékin, a été l’application la plus téléchargée en France en 2020. La plateforme est très prisée des médias français, notamment Le Monde, Le Figaro, France Télévisions et TF1, qui animent tous un compte TikTok. Plusieurs journalistes ont également créé leur propre compte TikTok. Il est établi que TikTok a supprimé ces dernières années certains contenus politiquement sensibles ou limité leur visibilité, notamment pour des publications enfreignant les directives de censure de la Chine, même si l’entreprise a déclaré par la suite qu’il s’agissait d’une erreur corrigée depuis. Selon un reportage de juin 2022, des fuites audio de réunions internes de TikTok remettent en question la véracité des déclarations de ByteDance concernant la protection des données des internautes américains, et, plus généralement, d’autres déclarations de la maison-mère au sujet de ses politiques. L’application WeChat, propriété du groupe technologique chinois Tencent, qui entretient des liens très étroits avec le PCC, est surtout utilisée par les touristes et par la diaspora chinoise en France. Plusieurs institutions françaises des secteurs de la culture et des transports disposent d’un compte officiel sur la plateforme. Les comptes officiels doivent nécessairement être enregistrés en tant que comptes chinois, et par conséquent se plier aux règles du gouvernement chinois en matière de censure et de surveillance.

Deux opérateurs de télécommunications (Bouygues Telecom et SFR) utilisent des antennes Huawei pour leur réseau 5G. Une loi votée par le Parlement en 2020 impose toutefois le retrait de ces antennes d’ici à 2028. Au second semestre 2021, la société chinoise Xiaomi, qui commercialise des téléphones portables dans le monde entier, détenait 30 % de parts de marché des ventes de smartphones en France. En 2021, un audit de sécurité réalisé par le gouvernement lituanien a révélé l’existence de listes noires contenant des mots-clés (en chinois et en anglais) potentiellement sensibles aux yeux du PCC, mais également des termes plus généraux relatifs aux droits humains, à la religion ou à la démocratie. Ces listes étaient mises à jour régulièrement, mais la fonctionnalité de censure était désactivée au moment de l’enquête. Par le passé, Huawei détenait aussi une part non négligeable du marché du smartphone en France (plus de 10 %), mais compte tenu des sanctions américaines, la société est redescendue à moins de 5 % de parts de marché.

Diffusion des normes et tactiques de contrôle des médias ou des modèles de gouvernance des médias du PCC

Au cours de la période étudiée, rien ne permet de penser que des professionnels des médias ou des représentants du gouvernement français aient reçu des formations destinées à les convertir aux normes et aux tactiques de Pékin en matière de contrôle de l’information ou aient été incités à adopter un modèle de gouvernance des médias « à la chinoise ».

Médias destinés à la diaspora chinoise

Les médias destinés à la diaspora chinoise en France défendant majoritairement des positions pro-Pékin, l’accès des quelque 540 000 personnes sinophones du pays à des médias locaux indépendants est assez limité. La station de radio publique Radio France internationale (RFI) propose des émissions en mandarin sur l’actualité française, chinoise et internationale, et son site internet est décliné en chinois simplifié et en chinois traditionnel. Epoch Times, journal fondé par des membres du Falun Gong, à la ligne éditoriale hostile au PCC, est disponible en français et en chinois, mais l’on ignore combien il compte de lecteurs. La France accueille par ailleurs le siège de nombreux médias sinophones pro-Pékin distribués dans d’autres pays d’Europe.

Plusieurs médias en langue chinoise présents en France ont été placés sous le feu des projecteurs lors de l’édition 2019 du Forum mondial des médias sinophones, notamment le président du groupe Guang Hua Cultures et Média, ainsi que des représentants des Nouvelles d’Europe, de Mandarin TV, de France-China Net et d’Europe Business News (ces médias sont présentés plus en détail ci-dessous). Ce sommet, organisé par le Bureau des affaires des Chinois d’outre-mer du Conseil des affaires d’État, le gouvernement populaire de la province du Hebei et l’agence de presse officielle China News Service, avait pour but de réunir des groupes de presse en langue chinoise du monde entier et de les encourager à tirer parti de l’« avantage » que constitue leur intégration dans des pays étrangers pour « raconter l’histoire de la Chine ».

  • Presse écrite: Nouvelles d’Europe (欧洲时报), plus ancien journal sinophone de France, appartient au groupe Guang Hua Cultures et Média. Créé en 1983, il est basé en région parisienne et dispose de 22 antennes réparties dans toute l’Europe. Outre le quotidien publié en France, il diffuse des éditions hebdomadaires au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Portugal, ainsi qu’en Europe centrale et en Europe de l’Est. Initialement rédigé en chinois traditionnel, il est depuis 1992 proposé en chinois simplifié afin d’attirer davantage de lecteurs du continent. Un rapport du groupe de recherche tchèque Sinopsis révèle que d’après les dossiers de la société, la maison-mère Guang Hua serait détenue à 90 % par le Département du travail du Front uni du PCC. Le groupe publie par ailleurs un hebdomadaire français appelé Life Weekly (生活周刊) et a lancé en 2017 un magazine mensuel intitulé Le 9. Guang Hua occupe une place centrale au sein des groupes de presse français et européens destinés à la diaspora chinoise et a fondé en 1997 l’Association des médias chinois d’Europe (欧洲华人媒体协会), dont le secrétariat permanent est hébergé au siège parisien des Nouvelles d’Europe. Selon son propre site internet, l’association compterait plus de 60 membres en Europe. La majorité des articles des Nouvelles d’Europe font l’éloge du PCC, portent un regard complaisant sur les affaires internes chinoises ou recyclent les contenus des médias d’État chinois : selon un article universitaire, moins de 10 % des informations présentées concernent la diaspora chinoise, et le journal s’intéresse encore moins à l’actualité française. Le compte WeChat du journal propage essentiellement des contenus pro-Pékin, parfois spécifiques à la France : il a par exemple partage une interview de l’écrivain français Maxime Vivas, auteur de l’ouvrage Ouïghours, pour en finir avec les fake news, qui prend la défense du gouvernement chinois concernant les violations des droits humains commises contre les Ouïghours. De son côté, Europe Business News (欧盟商报) (aussi traduit EC News) n’a pas mis à jour son site internet depuis juillet 2020, et l’on ignore si ce journal lancé en 2011 est encore en activité. Son compte WeChat, sur lequel rien n’a été publié depuis le 21 décembre 2021, se contentait de partager les contenus des médias d’État ou de relayer des messages pro-Pékin. Ce journal fondé par le Hong Kong Global Business Media Center éditait en 2017 un quotidien gratuit diffusé à 20 000 exemplaires dans une centaine de points de distribution répartis à Paris, en région parisienne et à Lyon. Consacré à l’actualité française, européenne et chinoise, il ciblait en priorité les entrepreneurs membres de la diaspora chinoise en France. Des accords de coopération le liaient à Wei Wen Po et Hong Kong Commercial Daily, deux journaux d’État basés à Hong Kong, ainsi qu’à des médias de la province du Guangdong. Europe Business News publiait également un mensuel en français intitulé Vision Chine, version française du magazine d’État China Newsweek (中国新闻周刊).
  • Télévision: La chaîne bilingue Mandarin TV (欧视 et 法国华人卫视) est conventionnée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et diffusée 24 heures sur 24 depuis 2014. Elle a été fondée par Chen Shiming (陈世明), immigré de Whenzhou arrivé en France en 1980. Mandarin TV est disponible gratuitement sur trois réseaux câblés français, et dans toute l’Europe par satellite. La chaîne propose des informations sur l’actualité française et internationale, des documentaires et des émissions lifestyle. Elle est éditée par C-MEDIA (欧洲中谊文化传媒公司), une entreprise domiciliée en France et évoluant dans les secteurs de la télévision, des médias en ligne, de la production de programmes télévisés, des services de conseil et de relations publiques et du marketing publicitaire. Mandarin TV a établi des partenariats avec le Bureau de l’information du Conseil des affaires d’État, CCTV, Radio Chine internationale, Shanghai TV, Wenzhou TV, Zhejiang Satellite TV et Shandong TV, entre autres. Chen Shiming a déclaré à CGTN qu’il avait créé cette chaîne pour « permettre aux Français de découvrir la véritable Chine ». En 2019, la chaîne a organisé un gala en collaboration avec le Centre international de communication culturelle du Conseil des affaires d’État afin de célébrer le 55e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine. L’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin y a prononcé un discours, et le dixième Forum mondial des médias sinophones a salué cet exemple réussi de rapprochement orchestré par un média sinophone étranger entre la Chine et son pays de résidence.
  • Radio: Lancée en 2014, Radio Mandarin d’Europe (欧洲华语广播电台) est une station de radio franco-chinoise bilingue émettant en continu, certifiée par le CSA et membre du Syndicat national des radios libres. Elle est disponible sur les ondes en région parisienne, ou en ligne partout en France. Selon son site internet, elle a conclu des accords de coopération avec les départements de propagande de Pékin, du Zhejiang et du Guangdong ainsi qu’avec des stations de radio d’État. Elle travaille également en étroite collaboration avec l’ambassade de Chine. Radio Mandarin d’Europe est présente sur plusieurs réseaux sociaux, parmi lesquels WeChat et Weibo. Selon une analyse de son compte WeChat réalisée par Freedom House, la chaîne s’écarte parfois de la propagande de Pékin. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, par exemple, elle a publié des informations sur l’irruption d’une journaliste russe opposée à la guerre en plein journal télévisé et partagé plusieurs discours du président ukrainien Volodymyr Zelensky.
  • Médias numériques: Xineurope.com (新欧洲) est un forum en ligne basé en France, principalement consacré au commerce, à la culture et au tourisme. Lancé en 2003, il est exploité par le groupe E.Can Inc. (易能传媒), qui affirme que Xineurope.com compte plus d’un million d’utilisateurs inscrits, ce qui en fait le site chinois le plus important d’Europe. Selon une étude du Centre de recherche sur les données en ligne de l’édition d’outre-mer du Quotidien du peuple réalisée en 2019 sur plus de 400 médias sinophones à l’étranger, Xineurope.com serait le 11e site internet sinophone d’outre-mer le plus visité au monde. Le rapport en question se félicitait que ces sites fassent « activement connaître l’attitude de la Chine à travers le monde lors des grands événements et des réunions importantes ». Selon ce rapport, le compte WeChat de Xineurope.com, qui partage des contenus pro-Pékin dans un esprit plus sensationnaliste, se classerait à la cinquième place des comptes sinophones d’outre-mer les plus influents. France-China Net (法中网, anciennement Intuitive China 直观中国) est un site numérique qui possède un compte officiel sur WeChat. Il a été fondé par Wen Fei (文菲), une femme d’affaires proche du gouvernement chinois et vivant en France depuis plusieurs années. Wen Fei est la représentante principale du bureau de représentation commerciale de la province du Hunan en France. Selon les médias d’État, en 2016, France-China Net était lu dans 143 pays et avait ouvert des antennes dans les régions francophones de la Suisse, de la Belgique, du Canada et de l’Afrique de l’Ouest. Il semblerait que son site internet www.chineendirect.com ne soit désormais plus actif. Le forum en ligne Huarenjie.com, qui gère également une petite maison d’édition appelée Huarenjie Bao, est l’un des médias les plus populaires chez les immigrés chinois installés en France. Il propose principalement des échanges sur des thèmes culturels ou lifestyle ainsi que des petites annonces (offres d’emploi, recherche de logement, etc.) et joue un rôle social important. Environ 90 % de son contenu porte sur des questions en lien avec la diaspora, tandis que l’actualité de la Chine est assez peu commentée. Ce forum a été créé en 2006 par des immigrés de Whenzhou au nom de la société SINOCOM, qui possède des filiales en Italie, en Allemagne, ainsi qu’à Whenzhou en Chine. Il est disponible sur WeChat et sur sa propre application qui, en 2017, avait déjà été téléchargée plus de 400 000 fois. Un autre forum internet, France Overseas Chinese News (法国侨报), possède également une chaîne WeChat et publie principalement des articles sur la Chine ; on y trouve aussi quelques contenus sur l’actualité française, mais ils datent de 2019.

Résilience + riposte des acteurs locaux

Résilience structurelle des médias

  • Garantie de la liberté de la presse: La Constitution française protège expressément la liberté de la presse et l’accès à l’information. Elle garantit en outre la liberté d’expression et la protection des journalistes. La France étant membre de l’Union européenne, la liberté d’expression et d’information des citoyens français est également reconnue par l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Le pays a par ailleurs signé et ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
  • Journalisme d’investigation et déontologie des médias: Les médias français, pour la plupart privés, se caractérisent par leur pluralité. Tous les organes de presse les plus influents du pays produisent des enquêtes journalistiques, à la fois sur des sujets propres à la France et sur des questions internationales. La France est dotée d’un conseil de presse indépendant, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation, qui assure des médiations et des arbitrages entre les médias, les équipes de rédaction et leurs publics. Elle dispose aussi d’une autorité indépendante de régulation des médias audiovisuels : le CSA.
  • Dispositions réglementaires concernant la propriété des médias et les infrastructures de diffusion: La loi française limite la propriété des médias audiovisuels et de la presse écrite par des entités étrangères, impose la transparence en matière de propriété et restreint la propriété croisée. Ainsi, un ressortissant étranger ou une société étrangère ne peut en aucun cas détenir plus de 20 % d’un média français. En vertu d’une loi controversée de 2018 sur la manipulation de l’information, l’autorité de régulation peut faire suspendre un média « contrôlé » par un État étranger ou « placé sous l’influence de cet État » s’il « porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation », notamment en diffusant de fausses informations. Les entités étrangères souhaitant investir dans le secteur des médias ou les services de communications électroniques doivent demander une autorisation au préalable. En 2019, le Parlement français a adopté une loi sur les réseaux radioélectroniques mobiles (dite « loi anti-Huawei ») afin de renforcer les dispositions législatives existantes et mieux contrôler les investissements étrangers dans ce secteur. Huawei s’est alors vu refuser l’autorisation d’investir dans le réseau 5G français, et le Conseil d’État a rejeté les recours déposés par les opérateurs de télécommunication déjà équipés d’antennes de l’entreprise chinoise.
  • Initiatives de la société civile et du gouvernement contre la désinformation: Différentes initiatives de la société civile et des pouvoirs publics cherchent à protéger la liberté de la presse et à combattre la désinformation. Des organisations non gouvernementales (ONG) indépendantes comme Reporters sans frontières surveillent et défendent la liberté des médias en France et débusquent les fausses informations liées à la Chine. En octobre 2021, le gouvernement français a créé Viginum, une nouvelle agence nationale chargée de lutter contre la désinformation provenant d’acteurs étrangers. Sa mission consiste à « détecter et caractériser les opérations d’ingérence numérique étrangères aux fins de manipulation de l’information sur les plateformes en ligne ». Son périmètre d’action se limite toutefois aux données publiquement accessibles sur ces plateformes et ne s’étend pas aux systèmes de messagerie privés. En 2020, EUvsDisinfo, initiative de lutte contre la désinformation portée par le Service européen pour l’action extérieure, a commencé à s’intéresser de plus près aux campagnes de désinformation du gouvernement chinois. Ce projet avait été lancé en 2015 pour mettre en lumière la désinformation russe.

Résilience face à l’influence chinoise

  • Multiplication des enquêtes journalistiques visant le PCC: Pendant des années, la Chine n’a fait l’objet que d’une couverture médiatique limitée en France. En revanche, au cours de la période étudiée, les reportages se sont nettement multipliés, en particulier après l’apparition de la pandémie de COVID-19. La Chine génère aujourd’hui plus d’articles dans la presse écrite, souvent des reprises de dépêches de l’AFP ou de Reuters, mais aussi des reportages originaux, et également davantage de reportages télévisés. L’expertise des médias français sur les questions relatives à la Chine était jusque-là assez restreinte, à l’exception de quelques journalistes appartenant aux chaînes de télévision et aux journaux nationaux les plus influents, aux ressources suffisantes pour envoyer des correspondants en Chine. Les médias couvrent la Chine à travers des sujets politiques, économiques et sociaux et n’hésitent pas à publier des articles qui étrillent le PCC. Plusieurs grands médias ont réalisé ou diffusé des reportages mettant en cause Pékin, notamment sur des sujets tels que la persécution des musulmans dans le Xinjiang, l’influence du PCC en France, la situation dramatique des réfugiés tibétains, la persécution des adeptes du Falun Gong, l’intensification des campagnes de désinformation du gouvernement chinois ou encore la présence douteuse de CGTN Français sur les réseaux sociaux. Des médias francophones de divers horizons politiques et géographiques ont commencé à se montrer moins indulgents envers Pékin. Les réactions chinoises à l’affaire Laurène Beaumond ont éveillé la méfiance des commentateurs français (qui y ont vu une propagande évidente) et ont involontairement attiré l’attention du grand public sur la propagande chinoise déployée en France.
  • Arrêt de la publication d’encarts publicitaires en raison des risques d’atteinte à la réputation: Certains médias français ont renoncé à placer des encarts publicitaires dans leurs pages compte tenu des risques que ceux-ci présentaient pour leur réputation. Ainsi, en 2020, en pleine pandémie de COVID-19, Le Figaro a cessé d’insérer dans ses pages son supplément « China Watch » réalisé par China Daily. En mars 2021, Jeune Afrique a publié dans le cadre d’un accord avec Le Quotidien du peuple un article de He Qian, directrice de la version en ligne du journal chinois à Paris, faisant la promotion de l’ouvrage d’un intellectuel français défendant la répression exercée par le gouvernement chinois contre les Ouïghours. L’article a alors été pointé du doigt sur Twitter, puis supprimé, ce qui porte à croire que Jeune Afrique a pris la décision de le retirer à cause des critiques. Dans des entretiens anonymes, les directeurs commerciaux de plusieurs médias français ont révélé avoir mis fin à ce type de partenariats en raison de la désapprobation manifestée par le grand public. D’autres ont estimé que ces encarts constituaient une forme de publicité comme une autre, similaire à celles financées par d’autres États, notamment les régimes autoritaires des pays du Golfe. Ces encarts publicitaires payants sont par ailleurs ouvertement condamnés par de nombreux journalistes de ces médias, mais les reporters et les rédacteurs en chef n’ont pas véritablement leur mot à dire sur les décisions prises par les services commerciaux. De manière générale, les contenus pro-Pékin sont rarement produits par des médias locaux en langue française, mais plutôt par des médias sinophones affiliés à l’État-parti. Même le quotidien marseillais La Provence, qui est membre du réseau Belt and Road News Network (BRNN) et a participé en avril 2019 à un forum organisé à Pékin par Le Quotidien du peuple (qui assure le secrétariat dudit réseau), n’affiche pas de position pro-Pékin.
  • Riposte du gouvernement français à l’influence du PCC: Au cours de la période examinée, on a pu observer un réveil des cercles politiques chinois sous l’influence du PCC, ce qui a aggravé les inquiétudes soulevées par l’autoritarisme du parti. Le gouvernement français a commencé à répliquer aux manœuvres de dissimulation, de corruption et de coercition engagées par le gouvernement chinois pour influencer les médias à partir de 2020, lorsque l’ambassade de Chine s’est mise à dénigrer les mesures prises par le pays face à la pandémie. Le ministère français des Affaires étrangères a convoqué deux fois l’ambassadeur de Chine en raison de ses propos : une fois en avril 2020, et une seconde fois en mars 2021. Les responsables politiques français ont exprimé publiquement leur soutien aux personnes insultées ou harcelées en ligne par des représentants du gouvernement chinois. Le Sénat a en outre lancé une mission d’information sur l’influence chinoise dans le pays, notamment dans le monde universitaire et académique, et consulté à ce sujet de nombreux membres de la société civile.
  • Soutien et solidarité des médias face à la censure et aux attaques: Face aux agressions des acteurs de l’État chinois ou de leurs intermédiaires, les médias et les journalistes français se serrent les coudes. Ainsi, en octobre 2021, plusieurs journalistes français ont manifesté leur solidarité avec le correspondant du Figaro en Chine Sébastien Falletti lorsque celui-ci a été insulté sur Twitter par l’ambassade de Chine, qui l’accusait de « mensonges » et de « divagations ». Le correspondant Asie du journal Le Point, par exemple, a exprimé depuis Hong Kong son soutien à Falletti, qualifiant son confrère de « modèle ».
  • Contribution des experts indépendants: On trouve dans les médias, le monde universitaire et les think tanks plusieurs experts de la Chine et du PCC. En France, tous les think tanks indépendants consacrés aux relations internationales comptent parmi leurs membres des spécialistes des questions relatives à la Chine. Ces experts s’expriment régulièrement dans la presse écrite et les médias audiovisuels, et publient parfois des rapports sur la Chine. En septembre 2021, deux chercheurs de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) ont sorti un rapport de 650 pages sur l’influence chinoise dans le monde : il s’agit probablement de l’analyse francophone la plus détaillée jamais parue sur la question, même si l’on ne peut présager de l’impact de cette étude sur le débat public et politique. En février 2022, l’hebdomadaire d’opinion Franc Tireur a publié en couverture une enquête spéciale intitulée « L’influence made in China ».
  • Contrôle réglementaire de la diffusion de CGTN en Europe: L’autorité britannique de régulation des télécommunications (Ofcom) ayant décidé en février 2021 de retirer à CGTN sa licence de diffusion au Royaume-Uni, la présence de la chaîne sur les ondes européennes relève désormais de la compétence de la France, puisque ce média est diffusé en Europe à partir du satellite de l’opérateur français Eutelsat depuis 2016. Le CSA a automatiquement accordé à CGTN l’autorisation d’émettre, mais a averti la chaîne qu’il serait particulièrement attentif ce que les programmes diffusés respectent les exigences légales françaises. Il conviendra de veiller à ce que le CSA donne suite aux plaintes reçues, le cas échéant, et à ce que les émissions de CGTN n’enfreignent pas la loi française.

Vulnérabilités

  • Vides juridiques et réglementaires: La France n’est dotée d’aucune loi empêchant les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique, qui permettraient de limiter les « procédures bâillons » contre des reportages consacrés à la Chine ou à d’autres sujets d’intérêt public. Comme nous l’avons vu dans la partie « Censure et intimidation », Huawei a porté plainte pour diffamation contre une chercheuse en raison de ses propos sur la société. Bien que la procédure ait finalement été abandonnée, la menace de représailles judiciaires pourrait bien avoir un effet dissuasif sur les chercheurs et les journalistes qui s’intéressent aux activités des entreprises liées au PCC ou à l’État chinois en France.
  • Nécessité d’un soutien accru aux organisations de la société civile et aux programmes d’éducation aux médias: Les associations et ONG officielles étant peu nombreuses à surveiller et à dénoncer les campagnes de désinformation de l’État chinois, sa présence sur les réseaux sociaux ou ses opérations d’influence en France, ces recherches sont effectuées au coup par coup par des journalistes ou des chercheurs. Des organisations de la société civile plus actives pourraient par exemple déposer plainte auprès des instances réglementaires françaises afin que des mesures soient prises contre les médias d’État chinois à l’origine de fausses informations. Dans d’autres démocraties, notamment Taïwan, les programmes d’éducation aux médias destinés au grand public se sont avérés plutôt efficaces pour contrer les campagnes de désinformation du PCC. La société civile et le gouvernement français pourraient donc s’inspirer de ces exemples pour combattre les efforts d’influence du PCC.
  • Manque d’implication du secteur privé: Le secteur privé français ne prend pas vraiment part au débat concernant l’influence du PCC sur les médias. En outre, aucune grande entreprise basée en France n’a fait le choix de renoncer à placer des publicités ou à investir dans des médias contrôlés par l’État chinois ou proches du PCC. Les plateformes internationales de réseaux sociaux identifient certains comptes comme étant affiliés au gouvernement, mais pas la totalité ; elles n’ont par ailleurs pas fait grand-chose pour supprimer les nombreux faux profils abonnés aux comptes francophones des médias d’État.

Impact sur l’opinion publique

Au cours de la période étudiée, les efforts d’influence du PCC en France ont attiré l’attention du grand public sur les activités du gouvernement chinois. La détérioration de l’image de la Chine en France s’explique en partie par la stratégie agressive utilisée par le parti sur les réseaux sociaux. L’ambassade de Chine en France a adopté la « diplomatie du loup guerrier » sur Twitter, provoquant plusieurs incidents qui se sont finalement révélés contreproductifs, car ils ont réduit à néant les efforts déployés par la Chine pour donner une bonne image d’elle-même. L’émergence du débat public sur les relations avec la Chine, en 2020 surtout, a suffi pour limiter l’impact des efforts d’influence du PCC dans les médias.

La Chine est essentiellement perçue de manière négative, et son image s’est dégradée après l’apparition de la pandémie de COVID-19, même si elle s’est ensuite légèrement améliorée entre 2020 et 2021. Selon une étude du Pew Research Center réalisée en 2021, 70 % des Français avaient une opinion défavorable du gouvernement chinois en 2020, contre 62 % en 2019. L’hostilité de l’opinion publique a quasiment atteint son paroxysme en 2008, lorsque les manifestations organisées en France à l’occasion du passage de la flamme olympique des Jeux de Pékin et la rencontre du président de l’époque Nicolas Sarkozy avec le dalaï-lama ont mis à rude épreuve les relations bilatérales. En 2021, cependant, le pourcentage d’opinions défavorables est redescendu à 66 %. Dans une autre étude de 2020, 52,6 % des personnes interrogées ont fait part d’une exacerbation de leurs sentiments négatifs à l’égard de la Chine au cours des trois années précédentes.

Selon l’étude Pew réalisée en 2021, 54 % des Français estimaient en 2020 que la Chine n’avait pas bien géré l’épidémie de coronavirus, contre seulement 39 % l’année suivante. Inversement, la proportion de personnes considérant que la Chine s’en était bien sortie est passée de 44 % en 2020 à 54 % en 2021. Cette évolution s’explique sans doute moins par l’efficacité de la propagande du PCC que par l’approche plus intégrée adoptée par la Chine après une piteuse gestion de début de crise, une stratégie qui lui a permis de contenir en grande partie le virus alors que celui-ci faisait rage dans les autres pays.

Un sondage d’opinion réalisé par le Pew Research Center révèle en outre que les Français interrogés n’étaient plus que 18 % à faire confiance au dirigeant chinois Xi Jinping en 2021, contre 23 % en 2019. Selon cette étude, 77 % ne lui faisaient absolument pas confiance en 2021, contre 69 % en 2019. En 2021, 83 % des Français sondés trouvaient que le gouvernement chinois ne respectait pas les libertés individuelles de sa population.

Perspectives

  • Stratégie de communication de l’ambassade de Chine à Paris: La stratégie du « loup guerrier » consistant à faire preuve d’agressivité pour défendre les intérêts de Pékin et riposter aux critiques françaises s’avère, après plusieurs années, plutôt contreproductive. Le choix de l’ambassade de poursuivre ou non dans cette voie dépendra sans doute d’un éventuel remplacement de l’ambassadeur Lu Shaye et, le cas échéant, de la personnalité de son successeur. Un changement de stratégie permettrait peut-être de réduire les tensions.
  • Audience des médias d’État en France: Les médias d’État chinois enregistrent une très faible audience en France, parce qu’ils traitent essentiellement de sujets qui n’intéressent pas les Français. Certains, comme CGTN Français, disposent toutefois de moyens suffisants pour se transformer et pourraient adopter une stratégie plus proche de celles employées par les médias russes, notamment Russia Today (RT) et Sputnik. Ces derniers sont en effet parvenus à tirer leur épingle du jeu en surfant sur des sujets nationaux très polémiques, comme on l’a vu avec le rôle joué par RT dans le mouvement des Gilets jaunes en 2018-2019. Néanmoins, l’Europe ayant décidé en 2022 d’interdire les médias d’État russes après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il est fort probable que les médias d’État chinois s’en tiennent aux récits pro-PCC dans l’immédiat.
  • De nouvelles mesures favorisant la résilience pour contrer l’influence de Pékin: Un rapport de l’IRSEM sur l’ampleur et la portée des opérations d’influence de Pékin à travers le monde, publié en septembre 2021, fait valoir la nécessité de repérer et de surveiller les campagnes de désinformation de façon plus systématique et plus rigoureuse. Le monde universitaire et académique, les think tanks et la société civile pourraient contribuer à cette démarche en prenant l’initiative de recenser les manœuvres de manipulations de l’information engagées par Pékin, et des programmes d’éducation aux médias pourraient être mis en place. Il faudrait également renforcer les mesures politiques et législatives destinées à éviter les procès en diffamation contre des chercheurs, et appliquer de façon plus stricte les règles relatives à la désinformation orchestrée par des gouvernements étrangers.

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