En douze mois de conflit, l’eau est devenue une denrée extrêmement rare dans la bande de Gaza. Grâce à l’analyse de centaines d’images satellite et de vidéos amateur, Les Révélateurs ont recensé les dégâts causés aux infrastructures hydrauliques sur le territoire gazaoui.
“Nous imposons un siège complet à Gaza. Il n’y a plus d’eau, plus d’électricité.” Voilà ce qu’assénait Yoav Gallant, le ministre de la Défense d’Israël, lors d’une allocution publiée sur X le 9 octobre 2023. Les canaux de Mekorot, qui alimentent pour 13 % le territoire palestinien en eau, sont aussitôt fermés. Les gazaouis ne peuvent alors compter que sur leurs propres ressources en eau. Or, dès les premiers jours du conflit entre le Hamas et Israël, les installations hydrauliques ont fait les frais des combats.
Selon les calculs effectués par Les Révélateurs de France Télévisions, basés sur les images satellite, 69% d’entre elles sont aujourd’hui entièrement détruites.
Traces d’impact ou de combat, disparition de panneaux solaires, dégradation des bâtiments… Grâce à l’analyse de centaines de vidéos amateur et d’images satellite, nous avons pu mesurer l’étendue des dégâts dans la bande de Gaza et le désastre sanitaire qui en résulte. Nous avons répertorié et géolocalisé 558 sites hydrauliques répartis aux quatre coins du territoire. Au total, nous avons recensé 386 infrastructures hors-service, endommagées ou totalement détruites.
Du ciel, certains sites sont facilement identifiables. Le 16 novembre 2023, les images satellite disponibles sur la plateforme Sentinel Hub montrent une importante colonne de fumée noire montant haut dans le ciel de Gaza. Le lendemain, une autre image permet d’observer le bâtiment principal de cette usine. De la fumée s’échappe encore des décombres. Nous avons pu géolocaliser son origine. Il s’agit d’une usine de traitement des eaux usées et de dessalement gérée par la société Abdul Salam Yaseen Company située au sud-ouest de la ville de Gaza.
Cette destruction est-elle un acte délibéré de l’armée israélienne ou les dommages collatéraux des combats contre le Hamas, comme s’en défend Tsahal ? Selon le New York Times (en anglais) – qui a enquêté sur cette destruction –, il est impossible d’attribuer clairement la responsabilité de cette frappe à l’un ou l’autre des acteurs du conflit.
D’autres cas ne font aucun doute quant à leur intentionnalité. Le 27 juillet 2024, une vidéo devient virale sur les réseaux sociaux : elle montre l’explosion de l’un des réservoirs les plus importants de la bande de Gaza. Il alimentait en eau 50 000 habitants ou personnes déplacées. Sur les images de cette vidéo postée sur Instagram, on voit des soldats israéliens en train de piéger le réservoir d’eau à l’aide de charges explosives.
L’auteur du post, un homme de 22 ans, est un soldat de la 401ème brigade du corps blindé de l’armée israélienne. Comme l’atteste une vidéo publiée sur les canaux de communication de Tsahal, son régiment était bien à Rafah à cette période. Le jeune soldat commente en hébreu : “Destruction du réservoir d’eau de Tel Sultan, en l’honneur du Shabbat !” Sur la seconde vidéo de sa story, le système mécanique du réservoir explose. Il a, depuis, passé son profil en mode privé.
Dans une information relayée le 29 juillet par le quotidien israélien Haaretz, l’armée israélienne reconnaît que ces soldats sont bien responsables du bombardement, mais affirme qu’ils ont agi sur ordre des commandants, sans l’approbation de hauts gradés. Une enquête, menée par le Service d’enquête et d’évaluation des faits de Tsahal, est en cours.
Une autre infrastructure hydraulique, située sur une plage au nord de Gaza City, fait partie des sites touchés. Les clichés satellites que Les Révélateurs ont étudié montrent que les puits de récupération d’eau de mer de l’usine ont été détruits. Ils permettent de dater l’incident au 6 novembre 2023.
Gérée par la CMWU, organisme responsable des services d’eau et d’assainissement dans la bande de Gaza, l’usine produisait 10 000 m3 d’eau potable par jour. Cette installation hydraulique flambant neuve, achevée en 2019 grâce à 8,7 millions de dollars de fonds koweïtiens, est aujourd’hui hors-service. D’après nos informations, le montant des dégâts s’élèverait à plus de 6 millions de dollars.
Que s’est-il passé ? Difficile à dire. Fin octobre 2023, les forces terrestres de l’armée israélienne ont pris le contrôle du nord de la bande de Gaza. Elle avait installé un camp de base à l’ouest de Jabaliya, et plus précisément à 200 mètres au sud de cette usine de dessalement côtière. D’après les images publiées en novembre dernier par le Hamas, on constate que cette zone était alors le théâtre d’intenses combats. Comme l’affirment les ingénieurs de la CMWU, cette usine se situait pourtant dans une zone de déconfliction, à la demande des Nations unies. L’armée israélienne n’a, à ce jour, pas confirmé sa responsabilité.
Au-delà des sept stations d’épuration désormais hors-service, ce sont des centaines de kilomètres de canalisations qui ont été détruites depuis un an. Les eaux usées se déversent au milieu des tentes dans les camps de déplacés. Sur les réseaux sociaux, des centaines de vidéos illustrent la vie quotidienne autour de ces eaux verdâtres, où les déchets s’accumulent.
Aussi, malgré une réouverture partielle des canaux de Mekorot comme nous l’a affirmé Tsahal, ceux-ci sont tellement endommagés et poreux que les ressources restent très insuffisantes. Trouver de l’eau salubre est devenu l’enjeu majeur pour les habitants. Les Gazaouis vivent actuellement avec moins de quatre litres d’eau par jour, quand le minimum vital préconisé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est de 15 litres.
Au manque d’eau s’ajoute la malnutrition dûe à la consommation d’eau impropre, qui provoque des diarrhées chez les enfants. Un premier cas de polio détecté dès novembre 2023 présage une catastrophe sanitaire de grande ampleur. Face au danger d’épidémie, une trêve début septembre a permis à l’OMS et l’UNICEF de mener une campagne de vaccination. Près de 570 000 enfants de moins de 10 ans ont été immunisés contre le poliovirus. Une seconde campagne a pu débuter ce lundi 14 octobre.
Parmi nos sources :
Les données de géolocalisation des 558 infrastructures analysées ont été obtenues depuis le portail du Costal Municipality Water Utility (CMWU), principal opérateur des infrastructures d’eau à Gaza.
Le recensement des dégâts causés aux infrastructures d’eau à Gaza a notamment été réalisé grâce aux données fournies dans le rapport d’OXFAM publié en Juin 2024. Nous nous sommes également appuyés sur ces articles de la BBC, des Observateurs de France 24 et de la CNN.
Nous nous sommes appuyés sur les bulletins régulièrement publiés par le WASH Cluster, un programme créé en 2006 par 40 organisation humanitaires sous l’égide de l’UNICEF pour coordonner l’action humanitaire en matière d’accès aux infrastructures d’eau, d’assainissement et d’hygiène.
Les images satellites sont celles de Maxar Technologies, Planet Labs, Google Earth, Google Maps, et Sentinel Hub.
Les vidéos amateur diffusées dans ce sujet proviennent des réseaux sociaux Tiktok, Instagram, X et Facebook. Les principaux comptes suivis au cours de cet enquête sont ceux de la municipalité de Gaza et du COGAT, la Coordination des activités gouvernementales dans les territoires du Jourdain, de la Samarie et de la bande de Gaza.
Pour mieux appréhender l’architecture du secteur de l’eau dans la bande de Gaza et comprendre les enjeux sanitaires liées à la destruction des sites d’assaiinissement, nous nous sommes entre autres appuyées sur les informations fournies par l’ONG Solidarité Internationale.