Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et l’affaiblissement de la position d’Emmanuel Macron, un vent d’inquiétude souffle sur l’écosystème des start-ups en France.
Le monde de la tech française, qui a connu un développement spectaculaire au cours de la dernière décennie, est inquiet. Après avoir redouté de voir l’extrême droite prendre le pouvoir, les start-up françaises craignent désormais de se voir privées de la protection d’Emmanuel Macron, qui avaient fait d’elles pendant sept ans leur enfant chéri. Après le choc de la dissolution et l’affaiblissement de leur champion, quelles vont être les répercussions pour le secteur « premier créateur d’emploi depuis une dizaine d’années », comme le rappelle Alain Clot, le président de France FinTech, le lobby des jeunes pousses technologiques de la finance ?
« Depuis un mois, je sens, chez les fonds internationaux, un certain attentisme et des questionnements », constate Alain Clot. Gardons à l’esprit que les fonds investissent de l’argent qui n’est pas le leur, celui de retraités, d’investisseurs institutionnels et doivent veiller aux intérêts de ces derniers » rappelle-t-il.
La stabilité politique et fiscale en question
Selon l’expert, la stabilité politique est cruciale pour maintenir l’attractivité de la France. « L’incertitude est destructrice. Et aujourd’hui, elle est maximale ». Et d’évoquer les craintes des entreprises. « Un scénario à la belge, c’est-à-dire un long moment sans direction claire, notamment sur le plan économique, financier et fiscal. Cette incertitude politique persistante serait destructrice ».
Alain Clot redoute également le risque d’insécurité fiscale qui pourraient détruire l’avantage compétitif de la France, gagné dans le domaine de la tech ces dix dernières années. « Il faut bien dire que les mesures qui avaient été prises avec le prélèvement forfaitaire unique (la “flat tax”) ou les dispositions sur le financement des start-up avaient créé, enfin, des conditions favorables à l’investissement dans l’économie numérique, les recrutements et la création de champions français et européens. Si ce cadre est remis en cause, les investisseurs internationaux, indispensables au développement de nos entreprises, voteront avec leurs pieds. »
Nos efforts patients de la décennie précédente auront été vains, alors que nous avons collectivement réussi à semer les graines d’un secteur d’excellence français et européen ô combien stratégique pour notre souveraineté et l’emploi. En matière d’attractivité des investisseurs dans la tech, la concurrence internationale est féroce. Nous avons réussi gagner des points appréciables ces dernières années, notamment en Europe. Mais tout cela peut être remis en cause.
Alain Clot (Président de France Fintech)
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La compétition internationale et les défis de financement
L’incertitude politique vient s’ajouter à un contexte international déjà difficile. La tech française est confrontée à une réduction drastique des financements internationaux. « L’évolution des marchés internationaux a fait que les financements ont été très fortement réduits en 2023-2024 (dans le monde entier), de l’ordre de 50, 60, 70 % selon les segments. La fintech française avait levé un peu plus de 3 milliards en 2022, et seulement un milliard l’année dernière. Pourquoi ? Parce que les taux d’intérêt ont monté, ainsi que les incertitudes économiques et géopolitiques. »
La relocalisation et l’attractivité des talents
Alain Clot souligne enfin l’importance de la localisation des talents pour la compétitivité de la tech française. « L’un de nos principaux combats chez France FinTech, c’est celui de la localisation en France des entreprises et des talents, leur relocalisation même » dit-il. Or, la flexibilité des start-ups, comparée à celle des entreprises industrielles classiques, les rend particulièrement sensibles aux changements de l’environnement politique et fiscal. « C’est très compliqué de bouger une entreprise industrielle classique. C’est plus facile s’agissant d’une startup. »
Par ailleurs, les entrepreneurs du numérique craignent qu’un changement politique rende encore plus difficile l’embauche de talents. « Nous sommes en tension permanente sur les recrutements. C’est évident que si, par exemple, les Français de la Silicon Valley voient qu’en revenant, ils seront assommés sur le plan fiscal, ils ne reviendront. Idem pour les chercheurs, pour tous les spécialistes qu’on cherche à attirer ici pour faire de nos start up des champions, au service de notre économie et de la transition écologique. »
Un regard optimiste mais vigilant
Directrice des affaires publiques chez France Digitale, l’organisme qui regroupe entreprises et investisseurs du numérique, Marianne Tordeux veut rester optimiste. « Je ne suis pas inquiète, mais je suis attentive aux éventuels changements. J’aurais été franchement inquiète si on avait eu le RN au pouvoir, car on aurait été dans une logique anti-européenne et anti-immigration alors même que les start-up ont besoin d’Europe et de talents étrangers. Là, je sais que ça va être plus compliqué, qu’on va devoir faire de la pédagogique pour expliquer que l’innovation peut vraiment profiter à tous. Mais d’après les discussions que j’ai eues avec le Nouveau front populaire, on a des gens qui ne sont pas anti-innovations, car ils se rendent compte qu’on a tous besoin de ces emplois-là pour financer des projets plus larges, sociétaux. »
Les initiatives européennes en matière de soutien à l’innovation sont perçues comme un contrepoids à l’instabilité politique nationale. « Il n’y a pas de projet de remise en cause pour l’instant de la volonté de la France de proposer Thierry Breton sur des sujets d’innovation et ça, pour nous, c’est réellement important qu’on ait quelqu’un qui comprenne ces enjeux », positive Marianne Tordeux.
Nicolas Faucon