A Roland-Garros,
Le contraste était saisissant. Plein à craquer lors des Jeux olympiques et paralympiques, le court Philippe-Chatrier paraissait bien vide en début de semaine, à l’occasion des premiers tours du Paris Padel Major, qui se dispute jusqu’à dimanche à Roland-Garros. Quelques centaines de spectateurs, tout au plus, venus se geler dans les tribunes basses, au plus près pourtant de la piste noire et bleue qui recouvre la fameuse terre battue parisienne, qui accueille le tournoi pour la troisième année consécutive.
Même mercredi, pour la journée dite des enfants, il n’y avait pas foule, sous le toit du Chatrier, pour applaudir le numéro 1 mondial Arturo Coello ou la paire française Johan Bergeron-Bastien Blanqué, malheureusement éliminée. Pourtant, loin de notre regard de journaliste frigorifié et soupe au lait, ces premiers tours restent quand même un (petit) succès pour les concernés.
« Moi, je trouve qu’il y avait vraiment plus de monde dès les premiers jours, estime Dylan Guichard (122e mondial, 2e joueur français). Ça se voit que les gens sont quand même plus concernés, que l’impact du tournoi est un peu plus grand. » Et le meilleur est à venir. Ce week-end, pour les demies et la finale, 10.000 spectateurs sont attendus par jour dans la Bombonera du 16e.
« Quelque chose d’inimaginable »
« Connaître Roland-Garros sous le prisme du padel c’est génial, on est surtout émerveillé par le fait de jouer au padel ici, parce que c’est quelque chose qu’on pensait inimaginable il y a encore quatre ou cinq ans, c’est absolument fou », se réjouit Alix Collombon, 32e mondiale et numéro 1 française. Fou, comme le développement du padel en France qui, bien qu’à des années-lumière de l’Espagne, poursuit son ascension fulgurante. « On a eu deux pics, un en 2015, quand la FFT a repris le padel, et un autre après le Covid, où les gens ont commencé vraiment à s’investir professionnellement, commente Thomas Leygue (107e mondial et numéro 1 français). Il y a une évolution assez importante en France. »
La première, et la plus importante, c’est que les Français ne voient plus le padel comme ce sport aquatique où vous passez votre journée débout sur une planche à prendre des coups de soleil en essayant de ramer sans tomber grossièrement à l’eau. « Les gens prennent ça un peu au sérieux maintenant, abonde Maxime Joris, 196e mondial. Avec le paddle, on en a entendu des vertes et des pas mûres. ». La seconde, c’est l’évolution galopante du nombre de pratiquants. « On est à 70.500 personnes classées, licenciées padel, mais on estime qu’il y a 500.000 pratiquants [environ 6 millions en Espagne] », nous explique Benjamin Tison, responsable du haut niveau et de l’ensemble du secteur sportif à la FFT.
Pour un sport souvent réduit au quadragénaire qui se bouge un peu le popotin en afterwork, les chiffres sont bons, mais il y a encore beaucoup de travail, notamment sur la relève, car seulement 7 % des licenciés sont des jeunes pratiquants. « Notre objectif prioritaire, c’est d’en faire un sport majeur, un premier sport, pas que d’anciens handballeurs, tennismen ou footballeurs viennent au padel, reprend Benjamin Tison. Il faut que le padel soit choisi dès le début chez les plus jeunes, qu’on étudie aussi le padel à l’école… Pour les jeunes, un centre national d’entraînement va ouvrir en septembre 2025. »
Ne pas faire comme la Suède
« Ça va prendre du temps, car ces jeunes-là qui auront commencé directement par le padel, et pas forcément par le tennis, seront bons dans dix ou quinze ans, estime Alix Collombon. Mais je pense vraiment que les choses sont en train d’être faites dans le bon sens. » La direction padel de la FFT, qui est passée de 3 salariés à une douzaine en cinq ans, espère aussi développer les infrastructures et passer de 2.200 pistes à 4.000 ou 5.000 dans les cinq années à venir, pour démocratiser un peu plus une discipline facilement accessible pour M. Tout-le-monde.
Surtout la Fédé ne souhaite pas non plus mettre la balle avant la vitre, se servant de la Suède, où beaucoup de clubs ont mis la clé sous la porte, comme d’un modèle à ne pas suivre. « Là-bas, il y a eu une croissance encore plus forte, et ça a tellement bien marché que tout le monde s’y est mis, détaille le responsable du haut niveau. Mais ils avaient un terrain tous les 2.000 habitants, c’était trop, c’était plus que l’Espagne, ils ont eu les yeux plus gros que le ventre. Nous, on a une progression linéaire. »
« J’étais plutôt négatif il y a deux, trois ans en me disant que ça n’était peut-être qu’un sport de mode, reprend-il. Mais aujourd’hui, je suis complètement convaincu parce que je vois tous mes amis qui n’étaient pas du tout dans le sport, quand ils essaient le padel, ils deviennent fous. Je pense que dans les trois ans à venir, il va vraiment y avoir un boom encore plus fort que la croissance qu’on a déjà cette année. » »
On demande une figure de proue
Cette progression passe aussi par des résultats au haut niveau, pour venir chatouiller un jour l’omnipotence hispano-argentine. Pour le moment, on en est loin, mais el tiempo nos dara la razon, comme l’inculquait Marcelo Bielsa aux Marseillais. « Il y a deux ans, il y avait seulement huit joueurs tricolores qui jouaient sur le circuit international, avance Thomas Vanbauce (208e mondial). Cette année, on se retrouve à une vingtaine, voire 25 joueurs, et je ne parle même pas des joueuses. Le nombre de joueurs professionnels a quasi doublé en un an. »
Là encore, la Fédé travaille dessus. Avec le centre national d’entraînement, elle va tenter de rapatrier tous les joueurs français partis s’aguerrir en Espagne et va recruter plusieurs techniciens ibères pour bénéficier d’une meilleure expertise. Les indicateurs sont déjà bons, avec une deuxième place au championnat d’Europe de Budapest chez les espoirs masculins (quatrième place pour les Bleues). « Le but, c’est d’avoir le meilleur niveau possible pour aller chercher des médailles sur les championnats du monde et championnats d’Europe, et avoir des tops 100 mondiaux », projette Benjamin Tison.
Ensuite, il ne restera plus qu’à trouver notre figure de proue, une sorte de Félix Lebrun des pistes, qui permette au padel de franchir encore une étape. « On a eu Alix Colomb, qui a été 20e mondiale, et Léa Godallier, qui a été 30e, reprend le responsable du haut niveau. On n’a pas eu d’hommes dans les 30 premiers mondiaux. Je pense que quand on aura un Français dans les 20 premiers mondiaux, ça va amener de l’engouement et ça va créer un peu cette reconnaissance par le grand public. » Et ne parlons pas de l’hypothèse, rêvée et souhaitée par tous les padélistes, de voir la discipline devenir olympique sous peu. Dans ce cas, la croissance ne resterait sans doute pas uniquement linéaire.