«Je pense que nous sommes dans une année assez excitante !» En ce mois de février 2024, Clara Chappaz reste optimiste en dépit des turbulences qui secouent l’écosystème français des startups. Mais il faut dire que depuis son arrivée à la tête de la mission French Tech en novembre 2021, l’ex-Chief Business Officer de Vestiaire Collective, l’une des licornes de la tech tricolore, a vu le secteur passer par tous les états.
De l’euphorie induite par les besoins numériques pendant la pandémie à la cure d’austérité engendrée par un contexte économique et géopolitique plus délicat, en passant par la nouvelle dynamique industrielle portée par le plan France 2030, présenté juste avant son entrée en fonction, Clara Chappaz a vu la French Tech franchir des étapes décisives dans son processus de maturité. «Certes, il y a eu des entreprises comme Luko et Frichti qui ont récemment connu des difficultés, mais il y a également Malt qui a mis la main sur un concurrent allemand (Comath en 2022, ndlr), Vestiaire Collective qui s’est renforcé aux États-Unis avec un rachat (Tradesy en 2022, ndlr) ou encore Welcome to the Jungle qui a réalisé une acquisition (Otta, ndlr) au Royaume-Uni il y a quelques semaines. Nous avons des startups à l’affût d’opportunités et cette dynamique ne va faire que se renforcer en 2024», estime-t-elle auprès de Maddyness. Avant d’ajouter : «Nous sommes très bien placés pour être l’écosystème qui consolide plutôt que celui qui se fait consolider.»
Parmi les startups françaises qui ont un appétit d’ogre, il y a bien évidemment celles évoluant dans le secteur de l’intelligence artificielle. Entre Mistral AI, qui a connu un décollage express l’an passé avec une première levée de fonds de 105 millions d’euros en juin, puis une deuxième de 385 millions en décembre, la jeune pousse américaine Poolside qui a décidé de se relocaliser à Paris, ou encore le lancement de Kyutai, un laboratoire d’IA doté d’une enveloppe de 300 millions d’euros et porté notamment par Xavier Niel (Iliad) et Rodolphe Saadé (CMA-CGM), Paris est devenu «the place to be» dans l’IA au cours de ces derniers mois. Et l’inauguration la semaine passée d’un nouveau centre de Google dédié à l’IA ne fait que renforcer cette impression. «Il se passe quelque chose d’exceptionnel en France dans l’IA. C’est très enthousiasmant. Ce qui se passe dans l’IA est un bon témoignage de la capacité de l’État à être stratège sur du temps long. Que ce soit pour disposer d’une capacité de calcul importante ou attirer les meilleurs laboratoires internationaux, tout s’est mis en place pour en être là où nous en sommes aujourd’hui», souligne Clara Chappaz. «Notre rôle est d’accompagner cette impulsion», ajoute-t-elle.
Next 40/French Tech 120 «new look», mode d’emploi
Pour donner cette impulsion aux startups tricolores les plus prometteuses, la mission French Tech a notamment lancé en 2019 le programme Next 40/French Tech 120 pour épauler les entreprises à fort potentiel de l’écosystème. Mais ces deux indicateurs avaient fini par se retrouver sous le feu des critiques en raison de l’importance accordée aux levées de fonds. Par conséquent, les critères de sélection des deux indices phares de l’écosystème ont été revus pour la promotion 2024. «Pour les revoir, il fallait le faire avec des acteurs de l’écosystème, ce qui a été le cas au travers du French Tech Finance Partners (une instance qui rassemble 16 personnalités du monde de l’investissement en France pour proposer des mesures en faveur de l’innovation dans l’Hexagone, ndlr)», explique-t-elle alors que l’appel à candidatures pour la prochaine promotion du Next 40/French Tech 120 est lancé ce mardi 20 février.
De la réflexion de ce conseil, plusieurs mesures sont apparues, dont le fait de ne plus intégrer automatiquement les licornes dans le Next 40. Ce dernier se composera de 20 places attribuées aux entreprises ayant les plus importants cumuls de levées de fonds effectuées entre juin 2021 et juin 2024. Quant aux 20 dernières, elles seront ouvertes aux startups qui génèrent au moins 100 millions d’euros de chiffre d’affaires (hors volume d’affaires) et au moins 15 % de croissance annuelle sur 3 ans. Pour les 80 places restantes qui permettent de donner vie au French Tech 120, 40 seront accordées aux entreprises ayant les plus importants cumuls de levées de fonds effectuées entre juin 2021 et juin 2024, après celles du Next 40 bien évidemment, et les 40 dernières seront attribuées aux sociétés qui ont les plus importants chiffres d’affaires nets, avec au moins 15 % de croissance annuelle.
Le Next 40/French Tech 120 décalé dans le temps pour prendre en compte les performances financières les plus récentes
Si les changements ont été actés, il faudra cependant attendre l’été prochain pour découvrir les heureux élus de la promotion 2024. Cela signifie donc que les startups de la promotion 2023 seront accompagnées un peu plus longtemps que prévu. Clara Chappaz justifie cette décision pour une raison simple : «Il y avait un décalage dans le temps par rapport à un certain nombre d’informations demandées aux startups, notamment au niveau des revenus.»
En effet, le placement dans le calendrier de chaque promotion (en général au mois de février) était en décalage avec la clôture des résultats financiers des entreprises candidates. «Pour la promotion 2023, nous avons été obligés de remonter aux comptes de 2021 pour analyser les critères de croissance du chiffre d’affaires, et réaliser la sélection en conséquence. C’est pour coller le plus possible à la réalité que nous avons opéré ce décalage dans le temps. Pour ce nouvel appel à candidatures, ce sont donc les comptes 2023 qui ont été pris en compte», explique la directrice de la mission French Tech. «Le French Tech 120 a le potentiel pour devenir le futur SBF 120. L’idée est de créer une dynamique à partir de géants qui vont tirer l’écosystème tout entier dans leur sillage», appuie-t-elle.
«Montrer ce qu’il se passe en dehors de Paris»
Avec cette nouvelle approche concernant le Next 40 et le French Tech 120, Clara Chappaz espère continuer à faire monter en puissance l’écosystème, aux côtés de Marina Ferrari, nouvelle secrétaire d’État au Numérique qui a succédé à Jean-Noël Barrot à Bercy. Si de nombreux observateurs de la French Tech s’inquiètent de voir le Numérique être relégué dans la hiérarchie ministérielle, Clara Chappaz préfère rester optimiste. «Quand j’étais chez Vestiaire Collective, je n’avais pas pleinement pris la mesure du soutien exceptionnel de l’État. C’est un soutien politique et constant. Le Numérique est probablement l’une des politiques publiques qui perdurent le plus dans le temps, et il s’agit d’un sujet interministériel», observe-t-elle. Avant d’ajouter : «Les premiers échanges avec la secrétaire d’État ont été positifs, elle est très dynamique. De plus, elle a un impact très fort sur le terrain et une bonne compréhension des territoires. Ce sera utile pour continuer à faire exploser l’écosystème et montrer ce qu’il se passe en dehors de Paris.»
Avec des acteurs comme Verkor et Ÿnsect, qui construisent des sites industriels en région, la French Tech essaime en effet de plus en plus au-delà de son épicentre parisien. «Dans la deeptech et l’industrie, beaucoup de startups n’ont pas leur usine à Station F», souligne avec humour Clara Chappaz.