Nouveau record pour « Choose France », le rendez-vous annuel d’Emmanuel Macron avec les investisseurs étrangers. 15 milliards d’euros ont été annoncés ce lundi par Microsoft, McCain, Amazon, FertigHy, Skeleton – usine de batterie estonienne – et d’autres entreprises tentées de voir si l’herbe n’est pas plus verte chez nous. De quoi assurer, selon Laurent Saint-Martin, directeur général de Business France, structure publique chargée de la promotion économique hexagonale, la création ou la pérennisation de 10.000 emplois en France. Soit 1,5 million d’euros pour un job.
Certes, l’époque où la construction d’une seule usine faisait travailler des milliers de têtes appartient plutôt au passé. Une étude de Business France datant de 2022 montrait ainsi que seulement 3 % des projets étrangers d’investissement dépassaient les 250 salariés en France. Et les deux tiers des projets en comptaient 20 ou moins.
Un nombre très faible d’emplois par milliard
Le dernier baromètre EY sorti début mai, qui a sacré la France comme championne d’Europe de l’attractivité en matière d’investissement étranger, montre dans le même temps un décrochage en termes de postes alloués : 35 emplois sont créés en moyenne par projet d’investissement en France, contre par exemple 49 en Allemagne ou 61 au Royaume-Uni. Et carrément 299 en Espagne. Comment l’expliquer ? Outre notre légendaire coût du travail, « la France est un pays de métiers de service et souffre d’un manque de main-d’œuvre qualifiée pour les projets industriels », pointe Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asteres.
Du fait de ce coût élevé et de ce manque de bras, la France intéresse donc plutôt les investisseurs pour de la technologie de pointe. Les pires usines niveau emplois. « Elles sont extrêmement automatisées et ne nécessitent qu’un très faible nombre de salariés, extrêmement qualifiés », poursuit l’économiste.
La France est-elle vraiment attractive sur l’emploi ?
Le constat revient d’ailleurs à chaque sommet Choose France (ce lundi marque la 7e édition). Ainsi, en 2023, l’opérateur de bornes de recharges portugais Power Dot avait promis d’investir 140 millions d’euros pour… 66 emplois. Autre cas d’école avec Knauf, groupe allemand de matériaux de construction, qui injectait 100 millions pour 50 travailleurs. En tout, les investissements étrangers ont pesé pour 39.773 emplois en 2023, selon le même baromètre EY. Soit moins qu’au Royaume-Uni et l’Espagne. Et si l’on est tatillon et qu’on rapporte le nombre d’emplois créés à la population totale, la France n’est qu’en huitième position européenne, derrière le Portugal, la Serbie, l’Irlande, la Hongrie, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Grèce.
« Il serait également intéressant de regarder le solde d’emplois net » (les emplois créés auxquels on soustrait les emplois détruits) , ajoute Bruno Coquet, docteur en économie et président de Uno Etudes & Conseil, cabinet de conseil et d’expertise sur l’emploi et les politiques publiques. Penchons-nous cette fois sur le groupe allemand Continental. En 2023, cet expert des pneumatiques annonce investir à hauteur de 500 emplois en France, notamment dans son site à Rambouillet. Le même site où il avait supprimé 400 emplois en 2009. Au-delà de ce genre d’entreprise à la politique aléatoire, « Sanofi et d’autres grands groupes ont délocalisé massivement les emplois. On peut donc remettre en cause ce constat d’attractivité. » La France investit d’ailleurs plus à l’étranger (45 milliards) que l’inverse (34 milliards). « Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, sauf en termes d’emploi », raille Bruno Coquet.
Trop peu d’investissement pour peser vraiment
Conséquence de tous ces facteurs, les investissements étrangers pèsent pour seulement 0,13 % de l’emploi en France, dixit EY. Une goutte d’eau, mais comment pourrait-il en être autrement ? « En France, la formation brute de capital fixe des entreprises – leur investissement dans le pays – est estimée à 400 milliards d’euros, développe le professeur. Se gargariser d’avoir 15 milliards venus de l’étranger, c’est bien, mais ce n’est pas ça qui va fondamentalement changer les choses. »
On ne peut pas régler tous les problèmes à la fois, tempère Sylvain Bersinger. « Ce que Choose France tente de faire, ce n’est pas de régler le problème du chômage, mais d’inverser un peu la balance commerciale déficitaire de la France. En construisant des produits de pointe chez nous, non seulement on gagne en indépendance géopolitique, notamment vis-à-vis de pays comme la Chine, mais on a aussi et surtout tout simplement moins à acheter à l’étranger. » Et c’est déjà pas mal.