« Au bord de la crise sociale »… Le grand retour de la courbe du chômage ?

« Au bord de la crise sociale »… Le grand retour de la courbe du chômage ?

Attention, une crise économique peut en cacher une autre. Alors que la dette française explose, que le déficit inquiète comme rarement et que l’inflation sévit encore, la France s’apprête à retrouver un vieux compagnon de malheur : le chômage. Timidement, ce dernier remonte depuis plus d’un an. Il avait atteint son plus bas niveau depuis 1982 fin 2022, début 2023, à 7,1 %. Le voilà à 7,4 % pour le troisième trimestre 2024, selon l’Insee ce mercredi. Et les annonces des
plans sociaux d’Auchan et de Michelin la semaine dernière, avec près de 3.700 postes dans la balance, ont remis la question au cœur de l’actualité. Le chômage est-il vraiment de retour ?

Cette question avait rythmé l’entièreté du quinquennat de François Hollande, au point que « baisser la courbe du chômage » – à l’époque avec un nombre à deux chiffres – était l’une des conditions qu’il avait fixé pour se représenter en 2017 – un pari raté. Le terme a pratiquement disparu depuis l’installation d’Emmanuel Macron à l’Elysée, remplacé par un objectif inverse : atteindre le plein-emploi, soit moins de 5 % de chômage. Un vœu désormais admis comme impossible, puisque le ministre de l’Industrie lui-même, Marc Ferracci, invité sur France Inter samedi, se montrait fort pessimiste : « Des annonces de fermetures de sites, il y en aura probablement dans les semaines et les mois qui viennent. »

En plein dans un cercle pernicieux

C’est bon, on peut flipper ? « Il est certain que le chômage va continuer d’augmenter, prophétise Marc Touati, macro-économiste. Selon les perspectives d’emploi des chefs d’entreprise et celle des ménages, le chômage devrait tourner autour des 8,5 % au printemps – été prochains. » Isabelle Rouhan, présidente de l’Observatoire des Métiers du Futur, think-tank visant à impacter positivement l’employabilité en France, voit un autre signal négatif : « Les postes en intérim sont en forte diminution, et ils sont connus comme étant annonciateurs des tendances économiques. Généralement, l’emploi salarié baisse avec la même intensité quelques mois plus tard ».

Pour Marc Touati, « la France est entrée dans un cercle pernicieux : plus il y a de chômage, moins il y a de production et de croissance, et plus il y a de chômage. Avec l’augmentation du nombre de personnes sans emploi, la dette augmente, donc les taux d’intérêt augmentent, donc il y a moins d’investissement des entreprises, donc moins d’emplois à pouvoir. La France est au bord de la crise sociale. »

Une situation vraiment catastrophique ?

Christine Ehrel, économiste et spécialiste des comparaisons européennes du marché du travail, se veut moins apocalyptique : « La situation globale reste plutôt bonne. Il y a eu une très légère hausse au trimestre précédent, mais de seulement 0.1 %. Et quelques indicateurs sont au vert, notamment l’emploi des séniors, qui augmente de manière assez nette. »

Les prévisions de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) tablent sur « un chômage autour des 8 % à la fin 2025 ». En augmentation donc, « mais loin d’une trajectoire catastrophique comme on a pu connaître lors de crises précédentes. » Le taux de chômage en France était supérieur à 10 % en 2014, 2015 et 2016. Il avait également augmenté de deux points en une seule année avec la crise des subprimes de 2008, passant de 7,3 % au deuxième trimestre 2008 à 9,2 % douze mois plus tard. « On n’en est pas là », relativise Christine Ehrel. Même fenêtre du « verre à moitié plein » chez Isabelle Rouhan : « Des secteurs entiers sont en tensions positives, comme la Défense, la Santé, ou l’énergie. C’est là que sont les opportunités. »

Une crise prévisible

Mais alors, Armageddon ou non, comment expliquer que le chômage soit de retour ? Pour Marc Touati, toujours dans la bonne humeur, « c’est déjà un miracle qu’il est mis autant de temps à revenir. » Le spécialiste nous livre quelques chiffres alarmants : « La France vient de connaître quatre mois consécutifs de baisse d’investissements de ses entreprises. » Le pays connaît également une croissance générale extrêmement faible : 0,7 % en 2023 et 1,1 % en 2024, année notamment portée par les Jeux olympiques de Paris. L’investissement dans le logement est lui en baisse depuis treize mois, « un record depuis le début des statistiques, alors que la France emploie 1,2 million de personnes dans le BTP. »

« Le pays voit s’effondrer les entreprises zombies, maintenues en vie artificiellement pendant le Covid-19, mais aussi pendant la crise inflationniste », poursuit Marc Touati. Avec la fin progressive des aides de l’Etat, « ces boîtes dépérissent et entraînent dans leur sillon les entreprises en bon état financier, notamment en ne respectant pas leurs commandes ». Le « quoi qu’il en coûte » n’aura fait que retarder l’inévitable, selon le spécialiste, « en plus de vider les comptes publics. L’Etat n’a aujourd’hui plus de marge de manœuvre financière face à la situation et ne peut donc que la subir. »

« La trop lente décrue des taux d’intérêt explique aussi les difficultés, sans compter le contexte mondial qui n’invite pas à des exportations », poursuit Isabelle Rouhan. Dernier clou dans le cercueil par Christine Ehrel, où le retour du chômage doit aussi « par les contraintes massives qui pèsent sur les entreprises, notamment les coûts de production face à la concurrence internationale ». Pas de doute, l’hiver sera froid sur le front de l’emploi.

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