Alors que le procès des viols de Mazan dure depuis près de deux mois, la question de la pertinence de la loi actuelle concernant le viol en France fait débat. Est-elle suffisante et efficace, ou faut-il la faire évoluer ? Marie-Pierre Porchy, magistrate, nous révèle quelle(s) évolution(s) possible(s) la loi pourrait connaître à l’issu de cette affaire.
Depuis le 2 septembre 2024, le procès des viols de Mazan se déroule devant la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon. Sur le banc des accusés, 51 individus comparaissent pour des faits de viols aggravés sur la personne de Gisèle Pélicot. Dominique Pélicot, mari de la victime et figure centrale de cette affaire épouvantable, est accusé d’avoir utilisé des anxiolytiques puissants pour endormir son épouse, permettant ainsi à des inconnus, recrutés sur Internet, de se rendre à leur domicile pour la violer. Ces événements se seraient déroulés sur une période de près de dix ans, de juillet 2011 à octobre 2020.
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Pour se défendre, une grande partie des accusés reconnaît le viol, au vu des vidéos de leurs actes filmées par Dominique Pélicot, mais assure n’avoir pas eu l’intention de violer. D’autres affirment avoir pensé que la victime était consentante puisque son mari leur avait donné son accord. D’autres encore assurent qu’il n’y a, selon eux, pas eu viol. De quoi faire naître de multiples questions, notamment autour des bases juridiques qui entourent le viol en France. Les accusés seront-ils condamnés ? Plus précisément, la loi actuelle concernant le viol est-elle suffisante et adaptée pour donner lieu à des condamnations ? L’absence du mot “consentement” dans la loi est-elle préjudiciable ? L’affaire Mazan pourrait-elle faire évoluer la loi ?
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La loi actuelle permet-elle de condamner les accusés du procès de Mazan ?
Pour nous aider à y voir plus clair, nous avons interrogé la magistrate Marie-Pierre Porchy, autrice du livre Consentements, les vérités d’une magistrate, paru aux éditions Mareuil le 24 octobre 2024. Elle explique que, “juridiquement, on peut entrer en voie de condamnation avec les lois actuelles” dans cette affaire, pour les faits de “viols aggravés” reprochés au mari ainsi que les “viols sur une personne droguée” qui concernent les autres accusés. “La contrainte est un élément clé dans la définition légale du viol”, dit-elle. Or, dans cette affaire, la contrainte peut, dit-elle, être prouvée grâce vidéos de Dominique Pélicot.
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Ainsi, selon elle, le texte de loi actuel est “suffisant” en ce qui concerne l’affaire de Mazan et permettra d’établir “sans grande difficulté les éléments qui prouvent le côté criminel” de ces actes, notamment en raison des conditions dans lesquelles se sont déroulées les relations sexuelles. “Avec le texte actuel de la loi, on pourrait condamner”, sans qu’il soit nécessaire de modifier la législation pour ce procès particulier.
Toutefois, la juge anticipe le fait que les avocats de la défense tenteront de plaider le “viol sans intention de violer”. Un concept illustré dans la législation suédoise depuis 2018, qui reconnaît le “viol par négligence”, dans les cas où le consentement est absent mais où l’auteur n’avait pas l’intention de commettre un viol. En France, ce concept n’existe pas dans la loi. Elle conclut que, pour certains accusés du procès de Mazan, cela risque d’aboutir à des condamnations qui “ne seront pas à la hauteur des faits”. “Cela va accoucher d’une souris”, estime-t-elle, qu’ils soient reconnus coupables ou qu’ils soient acquittés si les juges estiment qu il y a une incertitude sur l’intention de violer.
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Quelles sont les évolutions possibles concernant la loi ?
Selon la magistrate, il est nécessaire de changer la loi concernant le viol. “Elle n’est pas adéquate”, déclare-t-elle. Pour rappel, l’article 222-23 du Code pénal dispose que tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Or, Marie-Pierre Porchy critique notamment le fait que les concepts de “contrainte, violence, menace et surprise” ne suffisent pas à définir le viol. “Si ça ne rentre pas dans ces quatre critères, ce n’est pas un viol aux yeux de la loi”, déplore-t-elle, ajoutant qu’il ne faut pas, d’après elle, restreindre le viol à ce point. “La loi actuelle est trop limitante”, conclut-elle.
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Mais, alors que le procès de Mazan secoue la France, la loi pourrait-elle vraiment changer ? “Une partie des responsables politiques disent que ce n’est pas inconcevable qu’on change la loi”, indique la juge. Comment ? En y incluant “la notion de consentement”, précise-t-elle. En réalité, deux options sont envisageables aux yeux de Marie-Pierre Porchy :
- Garder la définition actuelle du viol avec l’inscriptionn, en plus, du non-consentement
- Procéder à une refonte complète du texte de loi
Mais pour Marie Pierre Porchy, plutôt que rajouter le non consentement dans la définition du viol, il serait préférable de modifier le texte en permettant au juge d’examiner le contexte du viol : “tout acte commis dans un contexte démontrant l ‘absence de volonté manifeste de participer à l’acte, ou l impossibilité de manifester un accord”, ce qui permettrait de considérer toutes les situations où les femmes ne sont pas consentantes mais aussi la situation des femmes qui ne se posent pas la question de leur consentement alors qu’elles vivent des viols aux conséquences très graves (après des violences conjugales par exemple).
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L’inscription de la notion de consentement dans la définition du viol est-elle d’actualité ?
Ce dimanche 27 octobre, le garde des Sceaux Didier Migaud s’est de nouveau prononcé en faveur d’une réécriture de la loi entourant le viol en France, et notamment de l’inscription de la notion de consentement dans la définition pénale du viol. “Oui, je suis favorable à ce que nous puissions travailler à une (nouvelle) rédaction” de la loi, a assuré le ministre de la Justice sur BFMTV. “ll faut être attentif”, a-t-il toutefois nuancé, à ce que cette nouvelle version de la loi “ne soit pas plus préjudiciable aux victimes que la rédaction actuelle”. “Nous sommes tout à fait prêts à y travailler”, a-t-il indiqué, précisant avoir déjà “reçu des parlementaires” à ce sujet.
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En mars dernier, Emmanuel Macron avait également exprimé son accord à l’idée d’une révision de la définition du viol. Le président de la République avait ensuite souhaité qu’une proposition de texte soit présentée “d’ici à la fin de l’année”. Mais cette perspective a été rendue incertaine avec la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, au mois de juin, qui a interrompu les travaux en cours sur cette question.