“On ne naît pas pervers, on le devient” : au procès des viols de Mazan, Dominique Pelicot se pose en victime

“On ne naît pas pervers, on le devient” : au procès des viols de Mazan, Dominique Pelicot se pose en victime

De retour devant la cour criminelle du Vaucluse après une semaine d’absence pour raisons de santé, l’accusé de 71 ans s’est exprimé pour la première fois sur sa personnalité.

La victime semble être dans le box des accusés. Dominique Pelicot, de retour devant la cour criminelle du Vaucluse, mardi 17 septembre, après une semaine d’absence pour raisons de santé, s’est exprimé pour la première fois toute la matinée sur sa personnalité. Le septuagénaire maintient sa reconnaissance des faits : “Je suis un violeur, comme ceux qui sont dans cette salle”, déclare-t-il d’une voix assurée, tranchant avec le ton plus morne qu’il adopte pendant le reste de sa déposition.

Mais, durant toute la matinée, Dominique Pelicot a aussi semblé vouloir se justifier. Et presque, parfois, se dédouaner. “On ne naît pas pervers, on le devient”, répond-il ainsi au président de la cour, Roger Arata, qui venait de lui égrener les conclusions des experts qui l’ont rencontré. Ces derniers ont conclu qu’il avait “une personnalité structurée sur le mode pervers”, “une faible empathie”, “une faible culpabilité”, “une capacité d’introspection extrêmement faible”, “de multiples déviances paraphiliques” (pratique sexuelle qui diffère des actes traditionnellement considérés comme normaux) et “une dangerosité criminologique élevée”.

“Même si c’est paradoxal, je n’ai jamais considéré ma femme comme un objet. Malheureusement, des vidéos montrent le contraire“, dit celui qui est accusé d’avoir violé et fait violer par des dizaines d’inconnus son ex-femme, Gisèle Pelicot, pendant près dix ans. “Malheureusement”. Comme si les neuf ans de sévices infligés à son épouse, entre 2011 et 2020, relevaient de la fatalité. Celle-ci, invitée à réagir aux premières déclarations de l’accusé, confie à la barre : “C’est très difficile pour moi d’entendre, encore aujourd’hui, qu’il est conscient d’avoir commis ces actes de viol et de barbarie à mon encontre, car pas une seule seconde, je ne pouvais douter de cet homme. Je l’ai aimé pendant cinquante ans”. 

Assis dans son box (conformément aux recommandations de l’expertise médico-légale), vêtu d’une surchemise grise, Dominique Pelicot oscille entre une intention manifeste de repentance et la volonté de lier les faits reprochés à son enfance. Ainsi, il retrace sa vie en début d’audience, insistant sur les deux épisodes de violences sexuelles qu’il dit avoir vécus et qu’il a relatés à plusieurs reprises au cours de l’enquête. L’accusé assure avoir été violé, à 9 ans, par un infirmier alors qu’il était hospitalisé. “Un type en blouse blanche a dit : ‘Je m’appelle Basile, est-ce que tu veux des bonbons ?’. Je ne pensais pas à ça…”, déclare-t-il en pleurs.

Puis, à 14 ans, quand il travaillait sur un chantier en tant qu’apprenti, on l’aurait forcé à avoir des relations sexuelles avec une femme, dans le cadre d’un viol collectif. “On m’attrape par le col et on me dit : ‘Elle va te dépuceler’. Ils m’ont mis le nez dans le sexe, j’ai encore l’odeur. Je suis allé vomir direct”, relate-t-il, encore secoué. Il évoque aussi son père, qu’il a décrit à l’enquêtrice de personnalité comme “violent, colérique et rigide”, se jurant, lui avait-il dit, “de ne jamais lui ressembler”.

Dominique Pelicot s’arrête ensuite, la voix étranglée par l’émotion, sur cette “belle rencontre” de juillet 1971 avec Gisèle Pelicot. Il pleure. “J’étais très heureux avec elle. Elle était le contraire de ma mère : complètement insoumise. J’avais trois enfants, des petits-enfants, que je n’ai jamais touchés”, assure-t-il. La septuagénaire l’écoute attentivement : elle a remis ses lunettes de soleil et baisse la tête. L’accusé de 71 ans répète à plusieurs reprises n’avoir jamais commis un quelconque acte pédophile. “Je n’ai jamais touché d’enfant, je n’en toucherai jamais”, martèle-t-il à l’avocat général, qui l’interrogeait sur ce point. 

Ses réponses à d’autres questions sont plus ambivalentes. Quand l’assesseure lui demande s’il est pudique, il répond par la négative : “Ce n’est pas parce qu’on est allé une ou deux fois sur une plage naturiste qu’on est exhibitionniste”, lance-t-il. Comme s’il ne comprenait pas à quoi elle faisait référence. Elle rappelle ainsi à l’accusé que son fils, Florian, a déclaré avoir été témoin de scènes de sexe entre ses parents quand il dormait dans la même chambre qu’eux. “Je ne sais pas, je n’ai pas le souvenir qu’il en ait été témoin”, rapporte Dominique Pelicot, lapidaire.

L’assesseure le questionne ensuite sur pourquoi il a minutieusement conservé et classé dix ans de vidéos et photos des viols sur sa femme, signalant que les experts le voient comme un “collectionneur”. “D’abord, il y avait une part de plaisir, mais c’était également une mesure d’assurance. Aujourd’hui, on peut, grâce à ça, retrouver ceux qui ont participé”, estime-t-il, n’hésitant pas à se positionner en bienfaiteur, que les enquêteurs devraient presque remercier. “Ils ont très bien fait leur travail”, glisse-t-il d’ailleurs.

Stéphane Babonneau, l’un des conseils de Gisèle Pelicot, lui demande, relayant une question de sa cliente : “Pourquoi, alors que vous assistiez au spectacle de son déclin, vous n’avez pas trouvé la volonté d’arrêter ce que vous lui faisiez subir ?”. “Je souffrais aussi de la voir comme ça, mais l’addiction était plus forte”, rétorque le retraité grisonnant, illustrant son égocentrisme et son défaut d’empathie, décrit par les psychiatres.

Même tonalité quand l’avocat lui rappelle qu’il a fait courir à son ex-femme le risque de contracter le VIH, puisqu’un des hommes l’ayant violé à six reprises était porteur de la maladie. “Les risques, je ne pouvais pas les ignorer”, dit-il d’abord, soulignant : “Je ne l’ai jamais laissée toute seule, j’étais toujours là”. Il se défausse au passage sur son coaccusé : “Il m’avait transmis un test, apparemment, il était faux”.

“Quand devient-on pervers ?”, lui demande ensuite Antoine Camus, l’un des avocats de la partie civile. “On le devient quand on rencontre quelqu’un qui nous donne les possibilités : internet… Là ça devient pervers, oui”, répond-il mollement, comme s’il avait été conditionné à passer à l’acte, dans une forme de déterminisme qui le dépasserait.

Lorsque l’avocat lui demande ce que ça lui fait d’avoir “embarqué des dizaines d’inconnus” dans son “schéma criminel”, Dominique Pelicot retrouve beaucoup plus d’assurance. “Je n’ai embarqué personne, ils sont venus eux-mêmes me chercher. On m’a demandé, j’ai dit oui. Ils ont accepté, ils sont venus. Je n’ai menotté personne pour venir chez moi”, rétorque-t-il sans ciller. Soucieux, peut-être, de ne pas tomber seul.

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