REPORTAGE. “Ça va vite, j’ai été aspiré” : comme Idriss, des joueurs de casino en ligne tombent sans le savoir dans les pièges de systèmes mafieux

REPORTAGE. “Ça va vite, j’ai été aspiré” : comme Idriss, des joueurs de casino en ligne tombent sans le savoir dans les pièges de systèmes mafieux

Ils sont illégaux et pourtant des millions de Français les fréquentent sans forcément le savoir, des sites de jeux d’argent et notamment des casinos en ligne. Une campagne est lancée mardi par l’Autorité Nationale des Jeux, pour rappeler leur dangerosité.


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Pertes importantes d'argent, vol de données personnelles, addiction, les sites illégaux n'offrent aucune protection contre l'addiction ou les arnaques. Photo d'illustration. (SOLSTOCK / E+)

Avec 4 millions de joueurs contre 3,6 millions pour le marché régulé, c’est la première fois que le marché illégal dépasse le nombre de joueurs légaux, depuis l’ouverture du marché en 2010. Il faut rappeler que depuis cette date, en France, les seuls jeux d’argent en ligne autorisés sont les courses hippiques, les paris sportifs et pour le casino, c’est le poker. Tout le reste est interdit. 

Mardi 8 octobre, l’Autorité Nationale des Jeux lance une campagne “100% gagnant” pour rappeler cette dangerosité : pertes importantes d’argent, vol de données personnelles, addiction… C’est un véritable système mafieux qui se cache derrière ces sites illégaux.

Les joueurs en ligne plébiscitent surtout les sites de casinos. Et pour les attirer, les créateurs utilisent les derniers outils numériques à leurs dispositions. Par exemple, un “deep fake”, une vidéo truquée d’Alain Delon, a été publié quelques jours après la mort de l’acteur en août dernier : “Je vous donnerai 100 000 euros si vous ne pouvez gagner dans mon casino en ligne, dit la voix de l’acteur, chacun pourra gagner 4 000 euros dès le premier jour.”

Si l’on est attentif, ce “deep fake” est un peu grossier. Mais il a été vu plusieurs millions de fois et a potentiellement attiré des joueurs sur ce site de faux casino en ligne. Il existe en fait des milliers de sites similaires sur internet et ce marché illégal fait de nombreuses victimes. Une expansion fulgurante a été observée, à portée de clic, et il est très facile d’en devenir dépendant rapidement.

C’est ce qui s’est passé pour Idris, qui a commencé à jouer il y a cinq ans : “J’ai commencé en jouant 20 euros, 30 euros, j’ai commencé à augmenter les sommes, raconte-t-il. Il y avait plein de jeux, comme des jeux à roulettes, et je commençais à gagner au début… Et après c’était un cercle, je me disais ‘Là, j’ai perdu, je vais remettre encore’. J’ai perdu plus que j’ai gagné, 1 500 euros facilement, et après, à chaque fois que je regagnais, je me disais ‘non, ça ne suffit pas’…” 

Aujourd’hui, s’il ne joue plus depuis quatre mois, c’est encore difficile pour lui de résister :

“Toujours, je suis tenté. Par exemple, hier, on m’a parlé de ça et j’ai voulu mettre un petit 30 euros pour aller jouer.”

Idris, joueur en ligne

à franceinfo

“Et ça va vite, soupire-t-il. J’ai été aspiré”. Le plus grand danger est que rien ne protège les joueurs de situations dramatiques liées au surendettement ou à l’addiction. Si, aujourd’hui, on peut se faire interdire de casinos en dur, cette interdiction n’existe pas dans le monde virtuel.

Ces sites doivent contourner la loi française pour exister. Pour cela, ils peuvent acheter très facilement leurs licences à l’étranger, à Curaçao, une île des Caraïbes. Certains sites illégaux de casino utilisent même le logo de l’ANJ, l’Autorité Nationale des Jeux, pour faire croire au joueur qu’il est en lieu sûr.

La France est un marché très lucratif, les cybercriminels se battent pour avoir leur part. On assiste même à une sorte de “cannibalisme virtuel”, avec certains qui se nourrissent de sites créés par d’autres, explique Isabelle Djian déléguée générale de l’AFJEL, l’Association française du jeu en ligne.

“Il s’agit d’une cybercriminalité qui a bien compris qu’il y avait une très grosse demande de jeux de casino en ligne.”

Isabelle Djian déléguée générale de l’AFJEL

à franceinfo

“Cette demande ne peut pas trouver d’équivalent sur le marché régulé, puisque ce n’est pas autorisé en France, explique-t-elle. Ainsi les cybercriminels instrumentalisent les sites illégaux pour faire encore pire que ce que font les sites illégaux.” Et de préciser : “Là, pour le coup, ce ne sont pas des enfants de chœur, alerte-t-elle, et il y a des choses extrêmement illégales qui se passent derrière”. Isabelle Djian décrit alors du vol de données, de l’hameçonnage ou l’installation de programmes informatiques malveillants. L’AFJEL estime que le manque à gagner avec ces sites de jeux en ligne illégaux est de plus d’un milliard par an pour l’État.


Pour tenter de bloquer ces sites illégaux, l’Autorité Nationale des Jeux a bloqué, depuis mars 2022, plus de 2 360 sites, c’est deux fois plus qu’il y a 10 ans. Mais ça ne suffit pas car une fois bloqués, ces urls se recréent très rapidement. Une liste noire est accessible sur le site de l’ANJ, qui a aussi sensibilisé les intermédiaires comme Google. Twitch a depuis interdit aux influenceurs de faire la promotion de casinos en ligne sur son réseau social.

L’une des solutions pour parvenir à assécher ces réseaux serait d’ouvrir le champ de l’offre légale en révisant la loi de 2010, estime l’AFJEL. Mais pour Gaëlle Palermo-Chevillard, du département de lutte contre l’offre illégale au sein de l’ANJ, ce n’est pas la solution : “Chez nos amis portugais, vous avez encore 40% des joueurs qui fréquentent les sites illégaux, alors même les casinos en ligne sont autorisés”, constate-t-elle.

“La Belgique est un marché particulièrement ouvert, mais parmi les 10 opérateurs les plus populaires, quatre sont illégaux et représentent près de 60% du trafic, donc [la légalisation] n’a pas fait ses preuves.”

Gaëlle Palermo-Chevillard, du département de lutte contre l’offre illégale au sein de l’ANJ

à franceinfo

De plus, l’ANJ doit s’atteler à un nouveau défi de taille : les Jonums (jeux numériques à objets monétisables) illicites. Il s’agit de jeux vidéo où les joueurs peuvent acquérir des objets virtuels, comme des accessoires, des armes ou des vêtements, en échange d’argent réel. Ces jeux dits de “Web3” se trouvent à la frontière de plusieurs univers : le gaming, le financier et le jeu d’argent. Et c’est un nouveau visage de l’offre illégale, contre lequel il faudra aussi lutter.

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