« Les infrastructures sont un pilier essentiel pour la stratégie de recherche européenne »

« Les infrastructures sont un pilier essentiel pour la stratégie de recherche européenne »

« Les infrastructures de recherche européennes sont des outils de recherche innovants et uniques pour la communauté scientifique européenne », définit Paolo Laj, le coordinateur du groupe de travail CNRS dédié aux infrastructures de recherche dans le cadre européen
, qui connait leurs importances. Ces infrastructures, comprenant des installations telles que les observatoires de l’Univers ou de l’environnement ; les accélérateurs de particules, dont les sources de lumière synchrotron ; les services numériques… ont permis au fils des années des avancées scientifiques majeures dans une multitude de domaines allant des sciences physiques et de l’ingénierie aux sciences humaines et sociales, en passant par les sciences du vivant et de la santé.

Des budgets colossaux qu’aucun état ne pourrait supporter seul

Sur le sol européen, on recense environ une quarantaine d’infrastructures de recherche (IR), qui ont le label « landmark ESFRI
 » de l’Europe
. La France participe et contribue pratiquement à toutes les IRs « landmark » européennes. Ce sont les états partenaires des IR qui assument le financement de leur construction et leur fonctionnement. « Le rôle de l’Europe se concentre plutôt sur la structuration et la coordination et elle intervient de manière indirecte, en soutien, à travers divers programmes et appels à projets », souligne Michel Guidal, président du comité des très grandes infrastructures de recherche (TGIR) du CNRS.

Se caractérisant par plusieurs aspects essentiels – notamment une concentration de ressources scientifiques et humaines de pointe ; une recherche d’excellence ; une gouvernance et des instances de pilotage bien identifiées – les IR permettent la mise en commun d’expertises techniques et méthodologiques de haut niveau pour des instruments uniques. Elles sont les instruments d’une stratégie scientifique européenne qui s’inscrit dans le temps long et ont besoin de sécurisation et sanctuarisation budgétaire. « Parmi les exemples notables d’IR « landmark » européennes, on compte par exemple l’European Spallation Source (ESS) en Suède, une source de neutrons dont le budget s’élève à 3 milliards d’euros, une somme qu’aucun État ne pourrait supporter seul », souligne Michel Guidal. La France est hôte de plusieurs IR « landmark » européennes : on peut citer le Synchrotron européen ESRF ; l’Institut Laue-Langevin (ILL) ; le European Molecular Biology Laboratory (EMBL) ; l’Institut de Radio-Astronomie Millimétrique ; le Grand Accélérateur d’Ions Lourds (GANIL) à Caen ; le laser Apollon sur le campus de Saclay ou le Grand Equipement National de Calcul Intensif. « Les IR ont été à l’origine de nombreuses recherches de pointe. Plusieurs prix Nobel sont associés à des IR : le boson de Higgs a été découvert au CERN, 5 prix Nobel ont été décernés à des scientifiques utilisateurs de l’ESRF », décrit Michel Guidal.

Système de détection utilisé par le spectromètre LOHENGRIN à l’Institut Laue Langevin à Grenoble. © Jean LARRUAT/IN2P3/CNRS Images

Soutenir les infrastructures de recherche à la Comission Européenne

Le CNRS soutient avec force l’importance des IR en ayant mis en place un groupe de travail Infrastructuresdans sa stratégie européenne. « Notre rôle est de garantir la présence active de la France dans les appels d’offres lancés par la Commission européenne », indique Paolo Laj. Depuis sa création en 2021, le groupe miroir Infrastructure qu’il anime a travaillé sur de nombreux dossiers visant à favoriser l’implication des chercheurs et chercheuses du CNRS. « En amont, nous définissons les priorités pour le CNRS, préparons les programmes de travail en donnant des avis sur les appels à projets, et apportons un soutien à la communauté pour qu’elle comprenne les enjeux et s’en saisisse », explique-t-il. Une stratégie qui semble porter ses fruits puisque pour le dernier appel à projets de la Commission européenne pour la période 2022-2023, le CNRS a constaté une augmentation du nombre de projets français soumis et des financements accordés.

Renforcer la souveraineté scientifique et technologique de l’Europe

« L’impact de l’Europe sur les infrastructures est indéniable », souligne Paolo Laj. Si l’Union européenne n’a pas vocation à financer directement une infrastructure, elle a un rôle crucial en finançant les processus permettant la création ou la mise à niveau de ces infrastructures, de la phase d’analyse des besoins des communautés à leur mise en place administrative et scientifique, en passant par le financement de l’utilisation de ces infrastructures au travers de projets finançant leur accès. Des exemples tels que le CERN, ayant un statut international, ou l’ESRF, qui est européen, illustrent l’ampleur des grosses IR que permet cette collaboration européenne.

« L’impact de l’Union européenne sur les infrastructures de recherche est significatif, renchérit Michel Guidal, notamment à travers ses programmes cadre de recherche et innovation (PCRI) qui permettent de financer divers projets ciblés qui utilisent des IRs. » Les retombées technologiques sont nombreuses, soulignant que les IR ne sont pas seulement des piliers de la science fondamentale, mais aussi des moteurs de développement industriel et économique. « Il n’est pas rare d’observer des entreprises ou des start-ups collaborer avec ces infrastructures pour mener des expériences et des recherches innovantes mais aussi qui participent au développement de certains des équipements de ces IR », ajoute-il. Cette interaction contribue à renforcer la souveraineté scientifique et technologique de l’Europe en évitant une dépendance excessive à des entreprises privées, notamment dans des domaines clés tels que l’intelligence artificielle. Par exemple, les supercalculateurs exaflopiques européens, comme celui baptisé Alice Recoque dont l’installation est prévue au CEA dans l’Essonne, illustrent l’importance de développer des capacités de calcul avancées au niveau européen pour rester compétitif dans un environnement numérique en évolution rapide
.

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Vue de l’intérieur du Synchrotron Soleil avec les différentes lignes de lumière. © Cyril FRESILLON / IPANEMA / CNRS Images

La promotion de la science ouverte est également une valeur fondamentale associée aux IR, favorisant le partage des connaissances et la collaboration entre chercheurs à l’échelle européenne et mondiale. EOSC (voir encadré) est un outil majeur pour l’implémentation de la politique de science ouverte en Europe et dont les Etats-Unis s’inspirent pour développer leur propre outil. Il représente un modèle fédératif réussi, rendu possible grâce à la collaboration européenne.

Évolutions et données

Mais les IR font aussi face à une série d’enjeux cruciaux pour rester au meilleur niveau international et répondre aux besoins de la recherche qui évoluent chaque jour. « Le fondement même de ces infrastructures repose sur l’économie d’échelle. Elles doivent donc demeurer attractives pour les chercheurs et les utilisateurs potentiels », explique Paolo Laj. Cela implique de répondre aux besoins évolutifs de la communauté scientifique et peut nécessiter des investissements importants. Par exemple, l’ESRF a récemment mis en place de nouvelles lignes de lumière et de nouvelles technologies sur son accélérateur afin de rester à la pointe de la recherche et être le leader du domaine à ce jour. Autre exemple dans le domaine des sciences humaines et sociales, les infrastructures telles que HUMA NUM et PROGEDO pour les humanités numériques, doivent être capables de mener toujours plus d’enquêtes pour répondre aux besoins croissants de la recherche dans ce domaine. « Chaque IR doit donc évoluer, et cette évolution nécessite de démontrer son utilité à la communauté scientifique afin d’obtenir les financements adéquats », ajoute-il. La feuille de route ESFRI (European Strategic Forum for Research Infrastructure), dont l’objectif est de soutenir une approche cohérente dans l’élaboration d’une politique d’équipement en IR de classe mondiale qu’aucun des pays-membres de l’UE ne serait en mesure de financer tout seul fait partie des outils stratégiques pour répondre à ces enjeux. Plusieurs IR ont pu bénéficier d’ESFRI telles que l’infrastructure ACTRIS pour la recherche atmosphérique (voir encadré) qui réunit plus de 200 organisations de recherche de 17 pays.

La maitrise des données et un autre enjeu majeur auquel sont confrontées infrastructures. « Ces infrastructures produisent des quantités massives de données, que ce soit physiquement ou virtuellement. Ces données ont une valeur considérable pour la recherche, mais leur gestion est complexe et coûteuse ». Elles nécessitent des moyens humains et technologiques significatifs pour assurer leur collecte, leur stockage, leur analyse et leur partage de manière efficace. En ce sens, les IR jouent un rôle crucial dans le domaine de la recherche, étant souvent comparés à un “Google académique”. Des initiatives telles que l’EOSC, qui vise à fournir un système de données pour la recherche européenne, sont essentielles pour faciliter l’accès et l’utilisation des données de recherche à grande échelle.

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Couches de pixels hybrides du détecteur du CERN Atlas Pixel. © Eric VIGEOLAS / CPPM / CNRS Images

FP10 : « la Commission ne peut pas simplement se désengager de ce qu’elle a contribué à construire »

« Dans le contexte du futur PCRI (FP10), il y a un risque que la Commission européenne considère avoir accompli sa mission et réduise ses financements aux infrastructures, indique Paolo Laj. Il est donc essentiel de rappeler que ces infrastructures sont des outils de recherche essentiels pour pouvoir répondre aux questions scientifiques de demain et qui doivent rester pérennes ». Dans le cadre du premier pilier
 du programme qui finance la recherche fondamentale, il sera nécessaire que la Commission continue d’aider les pays membres à maintenir et à faire évoluer ces infrastructures : cela implique le développement de nouvelles technologies et la reconnaissance que les besoins de recherche évoluent constamment.

L’accord ERIC (Consortium pour une infrastructure européenne de recherche
) qui facilite la mise en place et la gestion des infrastructures de recherche à l’échelle européenne, est crucial dans cet objectif. Il est important de noter que la Commission « ne peut pas simplement se désengager de ce qu’elle a contribué à construire » alors que les pays membres de l’Union européenne ne sont pas en mesure de fournir seuls les ressources nécessaires au maintien de ces infrastructures. Par conséquent, il est impératif de maintenir un système agile piloté par la Commission pour que ces IR continuent à fonctionner efficacement. Dans cette optique, la Commission pourrait jouer un rôle crucial en soutenant des projets collaboratifs impliquant l’utilisation de ces infrastructures. « Ces projets devraient être ouverts à tous les acteurs nécessitant ces IR pour leurs travaux, et la Commission pourrait mettre en place des mécanismes financiers pour faciliter leur utilisation. Cela garantirait que ces infrastructures restent accessibles et utilisées de manière optimale pour la recherche européenne », projette Paolo Laj.

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