A quelques jours du scrutin, les élections législatives inquiètent la French Tech. Pour le JDN, cinq acteurs de la tech avertissent des risques pour l’entrepreneuriat en France.
A l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, les prises de parole des entrepreneurs et directeurs d’entreprises tech sur les réseaux sociaux se sont multipliées. Pour mieux comprendre quel pourrait être l’impact de ces législatives sur la French Tech, nous avons posé cette question à cinq personnalités : “Quel est, pour vous, l’enjeu principal de ces élections pour que la tech française continue d’innover ?”
“La séquence électorale que nous connaissons, a mis le sentiment de peur au centre du débat. Peur de l’étranger, peur de perdre une partie de son électorat si on reconnaît que le Hamas est un mouvement terroriste ; peur des populistes.
Dans le même temps, la tech française vit, en décalage, une période intense où les avancées en IA ont ouvert un champ infini des possibles alors que les impacts possibles d’une accession au pouvoir des extrêmes et d’une généralisation de cette peur, peut ralentir et fragiliser cette innovation. En mettant le doute sur la stabilité politique du pays, ce sont la confiance des investisseurs qui se fige.
En second lieu, c’est notre capacité à fédérer les talents, pour atteindre des objectifs ambitieux, qui est atteinte. La peur, omniprésente, altère la confiance, au moment même où les défis technologiques, passionnants, nécessitent la sérénité pour la pleine mobilisation de nos équipes.
L’enjeu majeur du scrutin électoral est donc bien de faire prendre conscience que la peur ne saurait être un programme politique à la hauteur des ambitions et de l’histoire de notre pays, car elle engendre les pires comportements humains, libère les pulsions les plus sombres en misant sur l’instinct plutôt que la réflexion.”
Francis Barel, directeur général de Paypal France
“Pour moi, l’innovation est faite de 3 facteurs clés : La liberté d’entreprendre ; l’accès au capital ; la diversité. L’enjeu des élections législatives est de garantir ces 3 facteurs de succès pour la France.
Pour la liberté, c’est simple : un monde d’extrêmes n’aime jamais la liberté, que ce soit la liberté d’expression ou la liberté d’entreprendre. Cela commence par des petites auto-censures, puis des gros clashs, pour enfin terminer par des lois prohibitives.
L’accès au capital est essentiel pour la compétitivité des start-up et pour grandir ! On l’a vu dès le lendemain de la dissolution avec le spread franco-allemand. Si les marchés n’ont plus confiance dans le gouvernement français, les taux augmentent, et le coût du capital aussi pour les entrepreneurs. Enfin, les investisseurs fuient la France et cessent d’investir.
Enfin, la diversité : une entreprise veut toucher le plus de clients ! Mais sans une diversité d’employés, c’est impossible. On a vu que l’absence de diversité dans certaines boîtes tech donne lieu à des modèles d’IA reproduisant les stéréotypes du passé. En embauchant dans tous les horizons, ces biais disparaissent.”
Philippe Englebert, gérant en banque d’affaires
“Sans même aller sur le terrain des valeurs, il s’agit de ne pas casser la dynamique entrepreneuriale et d’innovation. La start-up nation n’est pas une nation dans la nation française.
Ce sont des bénéfices concrets pour tous les citoyens français, en matière d’emplois (1 million créés par les start-up), de services qui améliorent le quotidien (comme Doctolib ou Blablacar), de réindustrialisation avec de nouvelles usines sur le territoire (Innovafeed à Nesle ou Microphyt à Baillargues), et de souveraineté avec des innovations de rupture dans le nucléaire ou le quantique.
Elle est le résultat d’une politique ambitieuse, cohérente et stable depuis 7 ans en matière de financement, de formation et d’attractivité des talents, et d’environnement réglementaire. Toute politique de matraquage fiscal, notamment sur le capital, ou de repli sur soi en termes de protectionnisme ou d’immigration qualifiée, viendraient casser cette dynamique.”
Patrick Robin, founding partner Avolta
“Bien sûr, votre question est légitime, vous êtes le JDN, mais au-delà des considérations corporatistes, ne devrions-nous pas surtout nous inquiéter des choix de sociétés qui se présentent à nous ?
Rien d’incompatible au fond ; progrès, innovation et choix de société sont intimement imbriqués depuis Marx et Schumpeter. Donc, si je prends une approche plus politique que technique, en tant que citoyen-entrepreneur, je dirais que ce dont nous avons besoin pour continuer à innover et à entreprendre, c’est de la stabilité, de la visibilité et de la confiance. Nous avons également besoin d’une Europe forte, une Europe qui ne soit pas affaiblie et minée de l’intérieur.
Ce qu’il faut, c’est que dans quelques jours, aucun des “fronts extrêmes” ne franchisse le seuil de Matignon. C’est non seulement essentiel pour notre écosystème entrepreneurial, mais surtout pour préserver notre modèle de société : universaliste, laïque et ouvert, ainsi que notre modèle social, qui ne peut être soutenable qu’avec une économie robuste et innovante. C’est enfin, crucial pour maintenir la confiance des investisseurs, tant nationaux qu’étrangers, car sans financement, il n’y a pas d’innovation possible.
Nous avons mis 12 ans à restaurer la confiance et à construire un écosystème de la tech robuste et résilient. Depuis le PLF 2013 qui a déclenché la révolte des Pigeons, cet écosystème s’est consolidé grâce au talent de nos entrepreneurs, mais il ne serait pas le même sans le soutien continu des gouvernements successifs, les financements de la BPI et l’action de la French Tech. Il ne serait pas le même non plus, sans une fiscalité encourageant la prise de risques.
A compter du 7 juillet, un changement dangereux pourrait bien s’opérer, plus ou moins violemment, plus ou moins rapidement, vraisemblablement de manière différente selon l’extrême vers lequel les Français se seront tournés. Un entrepreneur US me disait récemment que la Silicon Valley penchait désormais pour Trump. Non par idéologie, mais plutôt par intérêt économique. Décidément, ils ne me font plus rêver. J’ai beaucoup plus confiance en notre “start-up nation”. Les start-up françaises ont souvent des valeurs et une approche plus éthique et responsable de l’innovation, prenant en compte les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités. Ces valeurs sont incompatibles avec des votes extrémistes.”
Anna Souakri, professeure affiliée en stratégie et innovation ESCP Business School
“C’est de promouvoir l’ambition ! L’avenir de la tech en France repose sur une transformation audacieuse et durable, incitant à la culture du risque et en déstigmatisant l’échec.
Il faut généraliser l’expérimentation à l’ensemble de l’économie et faciliter l’accès à ses financements pour soutenir le développement scalable des start-up.
Cette ambition peut être menacée par les choix politiques introduisant un discours et des politiques restrictives (fiscales, réglementaires, limitation au marché domestique), freinant l’incitation à entreprendre et la saine réallocation dans les secteurs d’avenir. Une approche ouverte de collaboration internationale et public-privé est indispensable pour positionner la France comme un hub d’innovation mondiale, assurant une croissance durable et inclusive.”