De notre envoyé spécial,
Il faut être fou, jeune ou inconscient pour se pointer en zone mixte devant des micros tendus et dire, « je travaille dur et je me donne à fond pour être au même rang, voire plus, que Yannick Noah ». Moïse Kouamé, 15 ans et sensation du tournoi junior, est un peu des trois. Est-il celui que la France attendait ? L’histoire de la lose tricolore nous interdit toute enflammade, mais les premiers signaux sont prometteurs.
« Je travaille dur »
Très en avance sur les standards, le voilà en quarts de finale du tournoi junior de Roland-Garros, pour lequel il bénéficie d’une wild card. Il a écarté de sa route deux têtes de série, dont sa dernière victime, Reda Bennani (n°14), qui n’a pas tenu plus de deux sets et 1h46 contre son jeune adversaire (7-5, 6-4). Son prochain adversaire ? Il ne veut pas en entendre parler. « On verra sur le court ».
Un peu comme Adrian Mannarino ? « Voilà, vous avez tout compris », se marre-t-il, particulièrement à l’aise devant la presse que devant la foule du court numéro 6, plein à craquer pour suivre les aventures de l’adolescent, plutôt habile pour gérer la pression de l’événement et des balles de matchs à sauver. « J’aime beaucoup la formule 1, les sports à vitesse, à stress. J’aime beaucoup l’adrénaline et je pense que ça m’aide énormément au tennis. » Suffisamment pour l’imaginer en vainqueur à la fin de la semaine ? « Match après match », calme-t-il.
Son ancien entraîneur du côté du Creps de Poitiers, Bruce Liaud, se mouille un peu plus : « son parcours n’est pas fini s’il maintient ce niveau de jeu. » Pour 20 Minutes, il accepte de faire les présentations avec le nouveau crack français.
Que pensez-vous du parcours de Moïse jusqu’ici ?
Il vient de faire trois gros matchs. Je le trouve stable dans la tête, même quand c’est accroché. Lors de son premier match, il a sauvé une balle de match sur un service volée avec beaucoup d’audace et de tenue. A 15 ans, il fait preuve d’une agressivité et d’un côté offensif vraiment intéressant tout en gardant une certaine sérénité sur le terrain. Il s’encourage quand il le faut, et il garde son calme quand il le faut.
Il vient d’éliminer des têtes de série. Plutôt pas mal pour une wild-card, non ?
Celui d’hier était tête de série numéro 4 et numéro 5 mondial ITF, certes plus spécialiste sur dur qu’un pur terrien, mais c’est un joueur de très bon niveau. Ce sont des belles perfs et je pense que son parcours n’est pas fini s’il maintient ce niveau de jeu. Il peut voir très grand.
A quel âge l’avez-vous eu ?
ll y a un an et demi à peu près, pendant 6-7 mois, de septembre 2022 à mars 2023.
Comment voyez-vous son évolution ? Que voyiez-vous en lui et que voyez-vous en plus aujourd’hui ?
On voyait à l’époque une belle qualité de frappe, une bonne science du jeu, des qualités physiques. A son âge, ce sont des garçons qui se transforment rapidement et on voit que c’est un bel athlète. Il est puissant, souple, il est rapide. Il a grandi, donc forcément avec ce gabarit qui a évolué, il a encore plus développé sa qualité de frappe. Il y a bien sûr des choses à travailler techniquement, mais il a une technique et une qualité de frappe très intéressantes.
Quels sont ces points perfectibles ? Peut-être plus varier son jeu ?
Et encore. Je trouve qu’il a un bon sens tactique parce qu’on le voit faire des trajectoires bombées, il a une bonne main donc il sait utiliser à bon escient les changements de rythme. Il sert très bien en première, il peut peut-être améliorer sa deuxième, mais il n’a pas fini d’évoluer physiquement. On peut aussi imaginer certains ajustements en fonction des balles adverses pour jouer encore plus tôt à certains moments, des ajustements liés à la vitesse de jeu adverse, des ajustements en matière de jeu de jambes, mais ce sont des détails. Il n’y a pas un coup où on se dit « ouh là, il va falloir vraiment bosser ». Au contraire, il a tous les atouts et il frappe fort dans la balle, il trouve des sacrées zones qui prouvent qu’il a une certaine science tactique. Il tape beaucoup de points gagnants.
Détail intéressant, à Roland-Garros il évolue devant beaucoup de supporters sur le court numéro 6. Comment il gère ?
Il aime bien. Je l’ai encore vu en équipe de France cet hiver, il y avait du monde. Il aime bien ces ambiances. Je ne dirais pas qu’il a un côté showman, mais il apprécie. En même temps, qui n’aimerait pas à cet âge-là jouer devant ce public, entendre des « Moïse, Moïse ». On voit qu’il arrive à sourire pendant ses matchs, il se nourrit de ça sans en faire trop. Il s’en sert vraiment efficacement.
La gestion de la pression va vite devenir une question pour un talent aussi prometteur, non ?
S’il arrive à acquérir de l’expérience en jouant devant autant de supporters… Il a une chance d’être à Roland-Garros, d’être invité à 15 ans. Sa wild card était évidemment méritée puisqu’il est qualifié pour les quarts de finale en faisant des super matchs, mais il a la chance de bâtir son expérience et s’en nourrir. L’expérience de ce public, de gagner des matchs serrés. Il ne faut pas oublier qu’il sauve une balle de match sur le premier match. Et il la sauve avec beaucoup de courage et d’audace. Pour le moment, il maîtrise ses émotions.
Certains osent le parallèle entre la famille Kouamé et la famille Williams, avec le grand frère Michaël d’un côté et Moïse de l’autre. Quel est le projet familial autour de lui ?
Je communiquais avec la mère qui n’était pas sur place mais venait de temps en temps à Poitiers, comme tous les parents qui pouvaient venir voir leurs enfants s’entraîner. Ça se passait bien, il n’y avait pas de soucis, mais après ils sont allés chez Justine Hénin, puis dans un projet individuel avec un entraîneur privé, avec qui il s’entraîne dans le Sud (dans les installations de l’académie Mouratoglou). Peut-être que c’est cette formule qui leur convient le mieux. Tout le monde n’est pas fait pour venir dans un pôle France.
Pour rebondir sur son départ du Creps vers la structure de Justine Hénin, ça s’est donc fait sans raison ni élément déclencheur ?
Tout à fait. Ça a peut-être été fait dans le but de monter une structure privée. Peut-être qu’il ressentait le besoin de sentir son entourage familial un peu plus présent. Je l’ai récemment eu en équipe de France et tout s’est super bien passé, on a échangé et partagé des entraînements sans aucun souci. Peut-être qu’il lui faut un entraîneur individuel avec un entourage familial proche. Je l’entends. Il n’y a pas qu’une façon d’y arriver. Ça m’a fait plaisir de le retrouver en équipe de France en hiver, où on a pu mutualiser des entraînements.
L’avenir semble prometteur avec Moïse, mais aussi d’autres comme Daniel Jade.
Il y a une belle génération de joueurs et une belle émulation et les résultats de Moïse doivent donner envie aux autres de faire pareil. C’est surtout comme ça qu’il faut voir les choses. Bosser tous les jours pour essayer de faire la même chose voire mieux et se tirer vers le haut. L’émulation est importante, je l’avais connue avec les 2002, Arthur Cazaux et Harold Mayot se sont tirés vers le haut. Mais sans concurrence. La concurrence, c’est l’international.