Dans les couloirs de l’hôtel Hilton Americas de Houston, théâtre de la CeraWeek, le « Davos de l’énergie », l’Européen est cette année recherché et choyé. Les lobbyistes du gaz naturel liquéfié américain ont décrété l’état d’urgence depuis que l’administration Biden a décidé d’imposer un moratoire sur la construction de nouvelles infrastructures de GNL aux Etats-Unis, remettant en cause selon eux la montée en puissance du pays dans ce domaine. Et ils comptent bien faire vibrer la corde de l’amitié transatlantique pour faire plier la Maison-Blanche.
« Nos alliés ne comprennent pas. L’Europe a pu traverser la crise de ces deux dernières années sans trop d’encombres grâce au GNL américain et soudain, on leur dit que l’avenir de ce gaz est incertain. C’est un message catastrophique », s’insurge le sénateur républicain de l’Alaska Dan Sullivan, chouchou de l’industrie pétrogazière, qui promet que la fin du moratoire sera l’une des premières mesures de Donald Trump, s’il est élu en novembre…
Une bataille contre le Qatar
Le moratoire, qui concerne les futurs projets qui n’avaient pas encore reçu leurs autorisations – et qui laisse donc ainsi se développer une grande majorité -, ne fait pas que des heureux chez les démocrates, non plus.
« L’administration Biden a donné des gages aux activistes environnementaux, au détriment de nos alliés, affirme l’un d’eux. Nous laissons la porte grande ouverte au Qatar, à la Russie, à l’Iran, nous poussons nos alliés vers des pays qui ne partagent pas nos valeurs. »
Le discours tranche avec la tranquillité affichée, depuis l’annonce, par les Européens. La baisse de la demande se confirme sur le Vieux Continent et, dès le lendemain de l’annonce du moratoire Biden, le Qatar a enclenché la construction de nouveaux trains de liquéfaction, visant une hausse de sa production de 85 % d’ici à la fin de la décennie.
« Le GNL a de beaux jours devant lui, on n’en manquera pas. Le Qatar va juste prendre les parts de marché abandonnées par les Américains », opine un observateur français.
Les gaziers américains dégainent toutefois un autre argument : le passage de centrales à charbon au gaz est responsable des deux tiers de la réduction des émissions de CO2 aux Etats-Unis. « Ce que nous avons fait ici, nous pouvons le faire ailleurs », insiste Chris Treanor, directeur exécutif de PAGE (Partnership to Address Global Emissions), une organisation qui regroupe les grandes compagnies gazières américaines.
Les émissions de méthane dans le viseur
« L’Allemagne continue de brûler du charbon et a annoncé un plan de développement de nouvelles centrales à gaz, la demande en gaz va continuer à être forte, même en Europe », estime un autre lobbyiste américain, qui balaie les accusations portées contre le GNL américain qui serait plus polluant que ses concurrents car issu de gaz de schiste. « Toute l’industrie a fait d’énormes progrès, il n’y a plus vraiment de débat ici sur le schiste », poursuit-il, accusant même certaines ONG de relayer la propagande russe.
« Le plus gros sujet, ce sont les émissions de méthane, ajoute Chris Treanor. On manque encore d’incitations pour bouger dans la bonne direction, mais l’industrie a pris conscience qu’elle devait le faire. » Surtout que, dans ce domaine, l’Europe va bientôt imposer des limites d’émissions de méthane à ses importations . Il faudra donc être compétitif dans ce domaine pour continuer à alimenter le marché européen.
L’Amérique se dit prête. « Nous avons les moyens de quadrupler nos exportations de GNL, et ainsi de réduire les émissions à travers le monde de millions de tonnes. Il n’y a pas de raison de ne pas le faire », assure Toby Rice, PDG d’EQT, un producteur de gaz qui exporte aujourd’hui le quart de sa production et qui affiche une baisse de ses émissions de méthane de 70 %.
Le terminal du Havre sous-utilisé selon Greenpeace
L’organisation dit avoir analysé les chiffres de plusieurs bases de données et conclut à une sous-utilisation des infrastructures gazières en France. Selon Greenpeace, l’utilisation du terminal méthanier flottant du Havre, opéré par TotalEnergies à la demande du gouvernement français, n’a pas dépassé les 50% depuis sa mise en service à l’automne. Depuis décembre, il serait même descendu à 37%.
«Les factures des particuliers et des entrepreneurs ont augmenté, et TotalEnergies est le seul bénéficiaire de cette opération absurde», dénonce l’organisation, qui demande la désinstallation de l’infrastructure. Pour TotalEnergies, ce terminal est un «filet de sécurité» sur un marché qui reste sous tension et pourrait être particulièrement utile en cas de pics de consommation.